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Hérault Tribune.- La ville de Palavas-les-Flots a présenté hier jeudi 13 mars le projet Palavas Horizon 2050 auquel a participé le chercheur Frédéric Bouchette, professeur à l’université de Montpellier et chercheur au laboratoire Géosciences Montpellier, spécialisé sur l’érosion côtière. Il participe aussi à la table-ronde organisée le vendredi 14 mars par la Chambre régionale des comptes sur « le littoral méditerranéen face aux risques climatiques ». Interview.
(par Thea Ollivier – Rédaction Hérault Tribune)

-Hérault Tribune : le projet Palavas Horizon 2050 a été présenté aujourd’hui. Pourquoi y avoir participé ?

Frédéric Bouchette : “À l’université, nous travaillons sur la recherche de solutions et d’adaptation au changement global du littoral depuis une vingtaine d’années par des approches mathématiques : c’est de la théorie de l’optimisation, c’est-à-dire trouver la meilleure solution à un problème posé. Palavas est venu en me disant qu’ils avaient des blocages car ils avaient une réputation un peu sulfureuse, la mairie étant considérée comme une ville refusant d’évoluer et d’entendre que le littoral allait changer. De notre côté, on pensait qu’on était mûrs pour passer de la recherche académique à une application, mais on était inaudibles. Nous avons donc signé un contrat-cadre avec Palavas il y a quelques années afin d’explorer les solutions d’aménagement du littoral dans ce contexte de changement climatique”.

 

-Comment se traduit concrètement cette collaboration ?

Frédéric Bouchette : “Avec les universitaires de mon groupe, nous avons décliné une méthode pour le cas de Palavas, qui permet d’aborder l’aménagement littoral différemment. Par exemple, si vous avez un problème de plage qui est en érosion : vous pouvez mettre des barrières, vous pouvez partir et vous déplacer, vous pouvez faire du rechargement de sable, vous pouvez mettre des ouvrages qui vont bloquer le matériel sédimentaire ou qui vont atténuer l’énergie des vagues. Vous pouvez faire ça de 1000 manières différentes, avec des matériaux durs, hybrides, doux ou naturels. Nous, on est capable de trouver sur un site donné la solution qui est optimale au sens du critère qu’on s’est donné. Et ce critère, il a été convenu collectivement par les décideurs et les politiques”.

 

-Où en est l’érosion côtière sur le littoral héraultais ?

Frédéric Bouchette : “L’érosion, c’est à la fois la réduction du stock sédimentaire et le recul du trait de côte, qui sont deux phénomènes déconnectés même s’ils peuvent être de temps en temps corrélés. Si on regarde le littoral de l’Hérault, la zone du Golf d’Aigues-Mortes est en recul, au sens de ces deux termes-là. Une bonne partie des plages a perdu 80% de son sable et c’est une perte irréversible. Ce n’est pas dû à la montée du niveau marin, c’est juste une tendance séculaire long terme qui est inhérente au fait que le sable est arrivé en vrac il y a plusieurs milliers d’années et que depuis, il disparaît en partant vers le large ou en s’accumulant à certains endroits précis. Nous vivons à un moment de notre histoire où on arrive à la fin d’un cycle où le stock de sable sédimentaire sur les plages devient rare. Dans 30 ans, il n’y en aura plus si on suit des vitesses de dégradation de ce stock. De façon globale, le golfe du Lion est dans une tendance érosive. L’espérance de vie du stock sableux sur une grande majorité des sites, c’est une dizaine d’années. Ça va aller très vite.

 

-Quelles sont les conséquences de la disparition de ce sable ?

Frédéric Bouchette : “La montée du niveau marin se fait à une vitesse telle que des villes se retrouveront dans des situations dramatiques dans 150 ou 200 ans. Mais avant ça, on aura eu bien d’autres problèmes bien plus graves, en particulier la disparition du stock de sable. Ce qui fera que les vagues qui arrivent sur la plage en l’absence de sable sont projetées en hauteur avec une violence décuplée puisque le sable a un pouvoir dissipatif que les fonds rocheux solides n’ont pas. C’est-à-dire qu’il contrôle les vagues et leur impact sur la côte, leur capacité à submerger et à détruire”.

 

-Comment lutter contre ce sable qui part ?

Frédéric Bouchette : “Si le sable n’est plus là, il suffit de mettre autre chose à la place, comme par exemple des systèmes qui sont capables de réduire l’énergie des vagues projetées sur la plage. Mais il y a des endroits où l’objectif de l’homme, c’est vraiment d’avoir du sable pour des raisons récréatives, économiques ou touristiques. Donc ce sont des décisions sociétales collectives à prendre. Par exemple en mettant des dispositifs pour capter du sable par des endroits bien précis et continuer à maintenir des plages de façon artificielle”.

 

-Ce vendredi 14 mars, vous intervenez dans le cadre d’une table ronde organisée par la Chambre régionale des comptes Occitanie, qui pointe du doigt le financement de ces solutions, peu efficaces, par de l’argent public. Qu’en pensez-vous ?

Frédéric Bouchette : “J’ai été confronté à des gens qui n’arrêtent pas de me raconter qu’il faut déplacer les populations. Mais le coût d’un déplacement massif, définitif, est énorme. Et l’acceptabilité sociétale, elle est nulle. Personne ne veut bouger du littoral, les maisons n’ont jamais été aussi chères qu’aujourd’hui et l’immobilier littoral continue à monter. Il faut un débat collectif pour savoir comment positionner notre société vis-à-vis de la problématique de continuer à vivre sur la plage”.

 

-Et dans le cas de Palavas ?

Frédéric Bouchette : “Dans 150 ou 200 ans, le niveau de l’eau sera au deux-tiers du canal de Palavas donc dès qu’il y aura une crue, ça débordera dans la rue. La question est de savoir quel serait le coût de déplacer les Palavasiens à Mauguio ou Montpellier ? Selon des estimations, on parle de dizaines de milliards d’euros. Avec cette somme, vous faites vivre une ville comme Palavas pendant des centaines d’années : vous reconstruisez, vous vivez sur pilotis, sur la mer, dans les lagunes, vous entretenez des canaux qui permettent d’évacuer l’eau quasiment instantanément, vous rehaussez tout. C’est ce qu’ont fait les Hollandais. Tout un pays est construit sur la mer et ça ne leur pose aucun souci. Par contre nous on doit choisir. Il devrait y avoir un vrai débat de fond sur ce qu’est ce que sera la vie dans une commune comme Palavas dans 150 ans quand le problème du niveau marin se sera véritablement manifesté ? Entre-temps, il faudra du temps pour arbitrer, pour comprendre, pour mettre en place cette stratégie et prendre les bonnes décisions concertées, collectives et apaisées”.

(Source : magazine Hérault Tribune)