(Vu sur la Toile)

 

Le producteur Paul Lederman est mort
(Article de Par Florent Barraco • Rédaction hebdomadaire Le Point)

 

 

Magazine Le Point.- Longtemps, il ne fut qu’un nom au générique. Ou une mention dans une phrase à la télé. Ou un remerciement dans une cérémonie de remise de prix. Paul Lederman, producteur de génie ? on disait à l’époque imprésario ?, a régné pendant près de quarante ans sur le show-business. Claude François, Mike Brant, Coluche, Thierry Le Luron, Les Inconnus ? Ils lui doivent leur carrière et sont passés par tous les sentiments : la joie, la reconnaissance, l’amitié, l’amour, la déception, la séparation, la haine ?

Paul Lederman, décédé à l’âge de 84 ans, fut cet homme de l’ombre qui adorait la lumière des autres. Pas étonnant de ne trouver que peu d’interviews, peu de témoignages ou peu d’articles sur lui. La plupart des Français l’ont sans doute découvert, de manière factice, dans le film de Florent-Emilio Siri Cloclo (2012), interprété par un Benoît Magimel surjouant le Méditerranéen avec l’accent pied-noir.

La Méditerranée, il était né de l’autre côté, certes, mais au Maroc, pas en Algérie. Paul Lederman voit le jour en 1940 et va très vite se passionner pour le monde de la musique. D’abord disquaire, il interroge ses clients sur leurs goûts : pourquoi cet artiste ? pourquoi ce titre ? Comme monsieur Jourdain, il invente les études marketing sans le savoir. Lederman a du nez et le chic pour dénicher les talents. Repéré par les maisons de disques, il bascule assez logiquement dans la gestion d’artistes. Il s’occupe dans un premier temps de Lucky Blondo (« Jolie Petite Sheila »), puis c’est la première rencontre de sa vie : Claude François. Lâché par tous, celui qui n’est qu’un Franco-Égyptien qui vient de subir un échec cuisant avec Nabout Twist trouve en Lederman sa bonne étoile. Ce dernier l’envoie vers Vline Buggy pour l’adaptation de « Girls, girls, girls » (« Belles, belles, belles »). Une star est née.

 

Homme de coups

 

Il relooke « Cloclo », sélectionne ses titres, importe des mélodies, innove sans cesse par peur d’être dépassé. « Cela s’est passé après un concert à Bruxelles. Le spectacle était triomphal, mais j’ai eu un pressentiment. J’ai dit à Claude : ?Si on ne change pas tout, dans six mois on est démodés !? », expliquait-il dans un livre*. « On s’est fâchés pendant une semaine. Puis il m’a rappelé et, après avoir vu un concert de James Brown, il a créé les Clodettes et les Fléchettes. Au début, les Clodettes étaient quatre. Je lui ai dit : Soit on en met huit ou douze, soit on les déshabille.? On les a déshabillées ! »

Lederman expérimente aussi avec l’auteur de « Comme d’habitude » ses fameux coups. Claude François est en baisse de régime ? Ils feignent un malaise à Marseille. Sa carrière repart comme en 45 (tours). Claude François est devenu papa ? Ses enfants sont cachés pour ne pas écorner l’image de ce coeur à prendre.

Après la chanson (il s’occupera de Mike Brant, Hervé Vilard ou Renaud), Lederman s’attaque à l’humour : il propulse un jeune imitateur de 19 ans en vedette adulée. Avec ses dons, sa bouille de bambin sage et son nom prédestiné (Lederman n’y est, cette fois, pour rien), Thierry Le Luron révolutionne l’imitation et s’en prend au monde politique et au show-business. Toujours en 1971, il repère à l’inauguration d’une agence de publicité un autre monstre des zygomatiques : Coluche. « C’est un génie, j’ai eu un coup de coeur », expliquait à la télévision celui qui a participé à la création des Restos du c?ur.

L’empereur du show-business chapeaute les deux rois de l’humour. Le Luron à droite, Coluche à gauche. Selon la formule consacrée : « La France est coupée en deux et pliée en quatre. » En 1985, il a l’idée du siècle. Pour relancer la carrière de Coluche, au ralenti depuis la tragique candidature à la présidentielle de 1981, il l’associe à la grosse blague de Le Luron : parodier le mariage d’Yves Mourousi avec Véronique, qu’il considère comme faux. Lederman, témoin avec Eddie Barclay de l’union factice, déploie un torrent de moyens : calèche, invités, caméras. En mariée, Coluche est LA star du jour ; Le Luron est le dindon de la farce.

 

Les histoires d’A finissent mal ?

 

La mort des deux stars à quelques mois en 1986 va atteindre le moral de l’imprésario? Qui va vite rebondir avec un nouveau groupe de jeunes humoristes : Les Inconnus. C’est une nouvelle fois un triomphe : les salles sont bondées, leurs émissions plébiscitées, leurs chansons rabâchées, leur premier film (Les Trois Frères) récompensé. Mais les histoires d’A – Agent, argent, amour, au choix -, finissent mal en général. « Le plus difficile, c’est de faire décoller. Après, ce n’est plus qu’une question de banque », expliquait-il au Monde en 1987.

L’argent est la face sombre du système Lederman, souvent caricaturé en costume foncé et cigare au bec. « Lederman, je lui dis ? vous ?, car il me prenait tellement d’argent, je croyais qu’ils étaient plusieurs », se marrait Thierry Le Luron. Il attaque Les Inconnus, furieux d’avoir été écarté du Pari et de L’Extraterrestre. Il sera débouté et en garde une haine tenace. « C’est un accident industriel. Je regrette de les avoir connus », lâche-t-il. C’est réciproque.

Plus tard, ce sont les enfants de Coluche qui l’attaquent. Après plus de vingt ans de procédure, la cour d’appel de Versailles condamne en 2019 le producteur à verser 15 % de la redevance attachée à l’exploitation de vingt-et-un sketchs (dont « Je me marre », « L’Auto-Stoppeur » et « Le Schmilblick »), soit une somme de plus d’un million d’euros.

Pygmalion pendant quatre décennies, Paul Lederman s’est petit à petit retiré dans l’ombre sans qu’un de ses « fils » ne brille pour lui dans la lumière des projecteurs. L’époque des grands imprésarios était définitivement terminée.

* « Ils ont tué mon disque ! », de Benjamin Petrover (éd. First).

(Source : journal Le Point)