(Vu sur la Toile)
Jugé à Montpellier, l’influenceur algérien Doualemn minimise son appel à la violence
(Article de De notre correspondant à Montpellier, Henri Frasque • Rédaction hebdomadaire Le Point)
–« Moi, franchement, je suis pour la paix. Personnellement, j’aime pas la violence. Je me retrouve là . Je suis désolé. » Boualem N., un presque sexagénaire au crâne chauve, vêtu d’un jean et d’une veste légère, s’exprimant dans un français hésitant, paraît complètement dépassé, ce lundi 25 février, par les propos qui lui ont valu de comparaître devant le tribunal correctionnel de Montpellier, pour « provocation publique et directe non suivie d’effet à commettre un crime ou un délit ».
Le 4 janvier dernier, le maire de Montpellier Michaël Delafosse a demandé au procureur de la République l’ouverture d’une enquête après la diffusion, sur les réseaux sociaux, d’une vidéo attribuée à Boualem N., un agent d’entretien montpelliérain de 59 ans, qui partage régulièrement ses humeurs, et ses coups de gueule, sur le réseau TikTok, sous le pseudonyme de Doualemn, à ses 138 000 followers. Le plus souvent sur le foot. Et parfois sur la politique algérienne. « L’incitation à la haine est un délit et, à ce titre, cette vidéo ne fait aucun doute », dénonce le maire PS. Le procureur embraye, et l’homme est rapidement arrêté, placé en garde à vue, et interrogé.
L’expulsion ratée de l’influenceur algérien « Doualemn », déjà de retour en France
Dans la foulée, le préfet de l’Hérault lui retire son titre de séjour, renouvelé pour dix ans quelques jours plus tôt, et il est expulsé en urgence absolue sur décision de Bruno Retailleau, le 9 janvier, vers l’Algérie. Où il est aussitôt renvoyé vers la France par le gouvernement algérien, au grand dam du ministre de l’Intérieur, qui y voit une volonté d’« humilier la France ».
Depuis, le tribunal administratif a donné deux fois raison aux avocats de Boualem N., annulant son expulsion, puis une obligation de quitter le territoire français et une interdiction de retour sur le territoire signés par le préfet de l’Hérault.
Une procédure est toujours en cours. Mais c’est en homme libre que Boualem N. comparaît devant le tribunal correctionnel pour ses propos controversés.
Il confond un poète berbère avec les islamistes du FIS
Mais quels propos, au juste ? « On a parlé d’incitation à la haine, mais ce n’est pas l’infraction reprochée », recadre la procureure de la République adjointe, Moune Mercane. Elle reconnaît qu’« un problème de traduction » des vidéos incriminées s’est « rapidement posé ». « Je m’adresse au peuple qui est en Algérie », exhorte Boualem N., selon l’une des traductions. « Donnez à ce type la guetla [une correction]. » Puis il lance : « Ils ont donné à tous les policiers des pinces. Celui qu’ils arrêtent ne sera pas conduit en prison, mais ils lui arracheront ses ongles. Alors ils appelleront les hôpitaux pour leur dire que si quelqu’un qui n’a pas d’ongles est admis, ne le soignez surtout pas. Laissez-le souffrir. »
Le troisième traducteur appelé à la rescousse, un professeur en sciences du langage, « a traduit guetla par ? battez-le ? », ou « battez-le à mort », constate la présidente du tribunal, Alix Fredon.
Comme « une incitation à donner une grosse correction. Comment doit-on comprendre ce terme ? » demande-t-elle à Boualem N. « Une gifle ou une fessée », minimise le prévenu. Qui reconnaît les propos tenus, tout comme la diffusion. « Mais c’était pour des amis. » « 138 000 amis, ça fait beaucoup », ironise la présidente.
Les dessous de l’arrestation d’« influenceurs » algériens en France
Quant au « type » à qui il appelle à infliger cette correction, il a indiqué aux policiers faire allusion à Mohammed Tadjadit, un poète berbère de 31 ans, une des figures du hirak, le mouvement de protestation contre le pouvoir algérien entre 2019 et 2021.
-« J’aime pas les intégristes islamistes. Ils appellent à la violence. Moi je suis pour la paix », affirme Boualem N. Sa soeur, expliquera son défenseur, a été tuée par des islamistes en Algérie pendant les « années noires », dans les années 1990. « Mais quel rapport entre Mohammed Tadjadit, figure d’un mouvement citoyen pacifique, et les intégristes ? » s’étonne l’avocat parisien Bernard Schmid, partie civile pour le poète et ses parents. « Et pourquoi dites-vous qu’Ali Belhadj [un des leaders du Front islamique du salut dans les années 1990] est l’oncle de Mohammed Tadjadit ? Avez-vous vérifié ces informations ? ». « C’est le réseau qui le dit. Je peux pas vérifier dans les réseaux », bredouille l’influenceur, penaud, qui dit « ne pas connaître » Tadjadit. Il a depuis fermé son compte TikTok. « J’ai tout fermé, Mme la présidente. Franchement, à 60 ans, je me retrouve là !C’est honteux ! »
Son avocat dénonce « des investigations de bricolage »
« Dès sa première audition, il reconnaît qu’il est allé trop loin », plaide l’un de ses avocats, Jean-Baptiste Mousset. « Il n’a jamais été question de dire qu’il n’a pas commis de propos litigieux », assure-t-il. Mais il dénonce « des investigations de bricolage », une prévention « sans vidéo originelle », sur la base de montages puisés sur d’autres comptes, et « les tergiversations du ministre de l’Intérieur et du préfet de l’Hérault » qui ont « tout fait pour qu’il ne comparaisse pas devant vous ». Il assure que son client « était inconnu des services de renseignement » et « ne représentait pas de danger ».
Dans ses vidéos, il n’y a « aucun propos antisémite ou appel au meurtre », souligne son deuxième avocat, Émilie Brun, rappelant que ces accusations avaient été lancées au début de l’affaire. Elle connaît Boualem N. « depuis 15 ans, depuis qu’il a franchi les portes de [s]on cabinet pour obtenir sa régularisation ». Ancien toxicomane, plusieurs fois condamné il y a plus de 20 ans pour des infractions liées aux stupéfiants, « mais sans un seul acte de violence dans son dossier », Boualem N. est, dit-elle, « une personne insérée, qui travaille », père de deux enfants, dont un fils en situation de handicap. « Son employeur est prêt à le reprendre », constate la représentante du parquet.
La magistrate estime que le prévenu a « fini par développer une addiction aux réseaux sociaux », mais constate que la vidéo qui lui vaut de comparaître « est la seule vidéo problématique identifiée, au stade des investigations, sur les centaines qu’il a publiées ». Elle requiert six mois de prison avec sursis. L’avocat de Mohammed Tadjadit réclame 1 € de dommages et intérêt pour le poète, et 5 000 € pour ses parents. Ses défenseurs demandent sa relaxe. Décision le 6 mars.
(Source Le Point)