*Christophe Euzet,Perpignanais, universitaire, ancien député de la 7e circonscription de l’Hérault (Juin 2017 – Juin 2022)
Paris, 17 mai 2030. La France poursuit sa transformation démocratique en profondeur
Les réformes entreprises depuis plusieurs décennies pour réduire les privilèges des responsables politiques et rendre le pouvoir directement au peuple constituent désormais un modèle achevé, unanimement admiré à l’international. “Avant, c’était des politiciens qui décidaient. Maintenant c’est nous. Enfin… je veux dire, c’est eux, mais comme nous. Enfin bref, c’est mieux”, nous confie à ce sujet Kevin, 38 ans, livreur occasionnel.
Des mutations décisionnelles audacieuses
Il est vrai que dans un geste historique attendu de longue date, l’Hôtel de Matignon a été récemment cédé à un présentateur-vedette de la télévision, qui y anime chaque soir une émission citoyenne permettant aux Français de voter en direct sur les propositions gouvernementales.
Le ministre concerné attend dans une arrière-salle et prend acte de la décision démocratiquement arrêtée : équipé d’un vélo électrique de location, il doit rejoindre au plus vite son ministère (un studio Airbnb), pour mettre à exécution sans délai la volonté législative du peuple. Si, en revanche, le projet est rejeté, il doit immédiatement restituer le bicycle et mettre un terme à ses fonctions. “Moi je regarde l’émission tous les soirs, c’est comme The Voice mais pour les lois. On vote, on buzze, et hop ! Si ça passe pas, le ministre rend son vélo et dégage. Franchement c’est génial, ça change de quand on s’ennuyait devant l’Assemblée. Et puis, au moins, ça bouge vite” assure Lucie, 52 ans, assistante de direction.
Des restructurations profondes
Pour sa part, le Palais de l’Élysée, acquis à grands frais par la dernière star recrutée par le PSG, est devenu un lieu de vie sportive et culturelle. Outre une piscine à débordement et un terrain de padel installés dans la cour d’honneur, le nouveau propriétaire (le brésilien Joao Vanhaldino) a transformé la salle des fêtes en discothèque ouverte au public chaque week-end, et les salons historiques accueillent désormais des tournois de MMA retransmis en direct.
Le Président, quant à lui, réside désormais dans un appartement de banlieue en colocation avec des étudiants et des journaliers, au plus près du peuple. “Franchement, moi je trouve ça bien qu’il vive en colocation. Comme ça, il sait ce que c’est que de galérer pour la douche le matin. Et puis si l’Élysée c’est devenu une boîte de nuit, moi je vais peut-être y aller samedi” témoigne Cindy, 23 ans, étudiante en BTS communication.
Des processus décisionnels novateurs
Les revenus de ces ventes juteuses financent aujourd’hui la tenue de multiples Référendums d’Initiative Citoyenne (RIC), organisés à un rythme soutenu sur des thèmes proches des préoccupations quotidiennes des français.
Parmi les consultations les plus marquantes, ces dernières semaines : le choix d’un nouvel hymne national (Demain ça ira de Jul), l’instauration d’un prix unique du kebab à 5 €, l’abolition des contraventions pour excès de vitesse, la prise en charge par l’Etat de Netflix pour tous ou encore le remplacement du défilé du 14 juillet par une grande tombola nationale retransmise en continu sur les chaînes de télé. Jordan, intérimaire de 28 ans, ne cache pas sa satisfaction à l’égard de ce bouquet de mesures : “J’ai voté pour le prix unique du kebab à 5 euros. Franchement, ça c’est de la politique utile. Moi je mange un kebab par jour, donc je vois direct la différence. L’hymne, je l’ai pas encore appris, mais je l’ai écouté, ça bouge bien.”
Des réformes indemnitaires courageuses et une redistribution pleinement égalitaire en chantier
Le Chef de l’Etat reçoit dorénavant ses indemnités en tickets-restaurant et en bons d’achat, symbole de son égalité parfaite avec les citoyens.
Les ministres, eux, sont rémunérés en cartes-cadeaux adaptées à leurs portefeuilles : alimentation, culture, santé, logement. Cette évolution est unanimement saluée comme un retour à l’essence du service public : servir sans privilèges. Véritable ville pilote, une commune de la couronne parisienne a même été l’une des premières à expérimenter la redistribution directe. À la demande populaire, son hôpital et ses équipements médicaux ont été vendus aux enchères et l’intégralité de la somme a été reversée aux habitants. “J’ai reçu 480 euros du partage de la vente de l’hôpital. Du coup, j’ai pu m’acheter une super télé. Bon, y a plus de maternité dans la ville, mais moi je suis pas enceinte, alors ça va” déclare Sabrina, 31 ans, caissière. Il faut dire à cet égard que l’exemple donné par l’Etat avec la vente de son principal porte-avion, redistribuée en bons alimentaires pour la population, ne devait pas manquer de revêtir une valeur d’exemple pour les collectivités locales. Ginette, 82 ans, retraitée de l’enseignement secondaire, considère à ce sujet que « de toutes façons, il servait plus à rien puisqu’ on a déjà vendu tous les avions et nous, faut bien qu’on croûte tous les jours…en plus j’ai jamais aimé la guerre ».
Des défis logistiques assumés
Certes, cette démocratie directe pose des difficultés qu’on ne saurait occulter.
Le président doit voyager le plus souvent en bus et parfois en bateau, l’avion étant jugé trop coûteux, ce qui entraîne quelques retards lors de ses interventions aux Nations unies à New York, par exemple.
De même, les conseils européens connaissent à l’occasion des décalages indésirables, les ministres français étant tenus de se déplacer systématiquement en covoiturage Blablacar. Le Conseil des ministres, lui, ne parvient pas à trouver tous les mercredis une salle de réunion locative dans les créneaux de prix strictement prévus par la loi. Un Emmaüs excentré est alors un recours utile dans l’urgence.
Mais ces petits désagréments sont largement compensés par l’exemplarité d’un gouvernement qui partage désormais pleinement le quotidien de ses citoyens. Et pour de nombreux observateurs, la France est devenue un laboratoire démocratique unique.
C’est Dylan, 25 ans, sans emploi, qui en définitive résume au mieux cette satisfaction collective : “C’est normal que le président arrive en retard à l’ONU, moi aussi je rate mon bus parfois. Ça prouve qu’il est comme nous. Et puis, franchement, l’ONU, je sais même pas où c’est et à quoi ça sert. Alors, on va pas offrir des billets d’avion au président pour ses beaux yeux… ».
Une dette inchangée, une indifférence revendiquée
Si les observateurs notent qu’aucune de ces réformes n’a produit d’effet structurel sur la dette publique — celle-ci demeure à un niveau historiquement élevé — le consensus populaire est clair : la question n’intéresse pas.
Aux yeux des citoyens, l’essentiel est ailleurs : dans la visibilité immédiate de leur participation et dans les bénéfices concrets des redistributions ponctuelles.
«La dette ? Qu’ils se débrouillent. Moi tant que je touche mes bons d’achat, ça me va. Et si un jour faut payer, ça sera mes gosses ou mes petits-enfants… Mais bon, moi d’ici là, je serai peut-être plus là, donc franchement, c’est pas mon problème” nous déclare Christian, 47 ans, agent de sécurité, à la sortie de la discothèque de l’Elysée. A ses côtés, Mélanie, 33 ans, vendeuse en prêt-à-porter, ne mâche pas ses mots : “La dette ? Ah bon, c’est nous qui devons ça ? Moi, j’ai jamais rien signé… Alors je vois pas pourquoi je paierais. Et puis de toute façon, si c’est à l’État, qu’ils fassent un crédit, comme tout le monde ! ».
Une démocratie aboutie ?
Ainsi va la France de 2030 : un pays où les ministres travaillent dans des studios Airbnb, où le président paye son déjeuner en tickets-restaurant, où les décisions se prennent dans une salle des fêtes transformée en plateau télé, et où l’hymne national s’entonne désormais sur un rythme de chanteur à la mode.
La dette publique, intacte, continue de grimper, mais peu importe : chacun a touché ses bons d’achat, ses 500 euros de redistribution ponctuelle, ou son kebab à prix plafonné. Dans cette démocratie réinventée, l’essentiel n’est plus de construire un avenir collectif, mais de flatter un présent immédiat.
Pour ses défenseurs, c’est là le triomphe ultime de la volonté populaire ; pour ses contempteurs, peu nombreux, c’est surtout l’illustration achevée de ce que peut produire une politique entièrement livrée au populisme. Une entreprise collective qui prendra date au regard de l’Histoire, assurément. “Franchement, moi je comprends pas pourquoi certains critiquent. Avant je votais jamais, maintenant je clique depuis mon canapé et j’ai eu 500 balles, un kebab moins cher et Jul qui chante pour la France. La dette, l’Europe, tout ça… je laisse aux autres. Moi, tant que ça continue comme ça, je dis merci la démocratie », tranche très finement Brandon, 26 ans, community manager, auto-entrepreneur.
Christophe Euzet