Par Franck Lemarc
Ce sont environ 2 500 élus locaux qui, d’après les estimations de la Smacl, auront été poursuivis au cours du mandat 2020-2026, très majoritairement pour des délits de manquement à la probité et en particulier pour prise illégale d’intérêts.
C’est l’un des chiffres à retenir de ce cru 2025 du rapport annuel de l’assureur des collectivités, dont le président, Jérôme Baloge, par ailleurs maire de Niort, relève qu’il est « indispensable de se livrer à une analyse fine des motifs de condamnations : certaines infractions peuvent être caractérisées par imprudence et même parmi les délits dits intentionnels, l’élément moral de l’infraction est parfois apprécié de manière très large ».
63 % des mis en cause relaxés
Il faut naturellement commencer par relever que le nombre d’élus mis en cause reste extrêmement faible en regard du nombre total d’élus locaux (plus 500 000) : sur les trente dernières années, ce sont moins de 0,4 % des élus qui ont été mis en cause pénalement, avec un taux de décision favorable (relaxe) de 63 %. Pour les fonctionnaires territoriaux, le taux de mise en cause est encore plus faible (0,05 %). Par ailleurs, 0,46 % des collectivités ou EPL ont été mises en cause en tant que personnes morales.
Malgré tout, les chiffres sont sans appel : les mises en cause augmentent fortement, notamment chez les élus. Pendant le mandat 1995-2001, seuls 579 élus avaient été poursuivis. Pour le mandat actuel, ils seront près de 2 500, soit une multiplication par 4,3. En contrepartie, l’écart se creuse entre élus mis en cause et élus condamnés : sur le mandat 1995-2001, 51 % des élus poursuivis étaient condamnés ; sur le mandat actuel, ce chiffre tombe à 37 %. D’où l’importance, insiste la Smacl, de souligner la notion de présomption d’innocence. « Mais même soldée par une relaxe, une procédure pénale n’est jamais neutre pour un élu, y compris sur sa vie privée. Et aux yeux de l’opinion publique, le mal est fait. »
L’augmentation du nombre de mis en cause s’explique par le durcissement progressif des lois au fil des années, notamment en matière d’atteinte à la probité – qui recouvre les délits de corruption, trafic d’influence, prise illégale d’intérêts, concussion, favoritisme et détournement de fonds publics. Alors que le nombre de mis en cause pour d’autres motifs (violences, atteintes à l’environnement, atteintes aux libertés…) est stable sur les trois derniers mandats, il a fortement augmenté en matière d’atteinte à la probité, pour atteindre près d’un millier de mis en cause sur le mandat actuel.
Évolution du cadre juridique
Deux enseignements sont à tirer de ces chiffres.
D’abord, il paraît indispensable que les élus soient mieux préparés à gérer le risque d’atteinte à la probité. Le nombre d’élus mis en cause et relaxés montre que dans la majorité des cas, les élus qui ont commis une faute l’ont fait de bonne foi, et souvent en ignorant tout simplement qu’ils étaient hors des clous. En ce sens, on ne saurait trop conseiller aux élus de lire avec attention le Guide pratique à l’attention des élus du bloc communal publié en novembre dernier par l’AMF et l’Agence française anticorruption. Ce guide d’une soixantaine de pages, clair et pédagogique, détaille avec précision les différents cas à risque et fournit des outils « d’autoévaluation » permettant aux collectivités de toute taille de les estimer et de les prévenir.
Deuxièmement, de plus en plus de voix s’élèvent pour demander une évolution de la loi sur la prise illégale d’intérêt. Non pas, naturellement, pour permettre à des élus qui commettent une faute de passer entre les mailles du filet, mais, comme l’écrit Jérôme Baloge dans le rapport de la Smacl, parce qu’il est problématique de « traiter de la même manière des élus et fonctionnaires qui profitent de leur mandat à des fins personnelles avec des élus et fonctionnaires qui sont piégés par méconnaissance du texte… et qui n’ont rien à faire devant le juge pénal ». Conséquence, selon le maire de Niort : « Le poids du risque pénal conduit parfois à freiner l’esprit d’initiative et à créer des complications kafkaïennes. »
Rappelons que le 16 mai dernier, l’AMF et les sept autres associations nationales d’élus ont adressé au ministre de la Justice un courrier pour demander une évolution du cadre juridique avant les élections de 2026. Les associations espèrent notamment que les modifications introduites au Sénat dans la proposition de loi sur le statut de l’élu seront retenues (le texte sera débattu à l’Assemblée nationale à partir du 7 juillet). Cette modification consiste à modifier la définition de la prise illégale d’intérêt pour « en exclure tout intérêt public ».
Une évolution du cadre juridique est également demandée par le Syndicat national des directeurs généraux de collectivités territoriales (SNDGCT), dont la présidente Hélène Guillet s’exprime également en préambule du rapport de la Smacl. Estimant naturellement que « la sanction est normale lorsque des fautes intentionnelles sont constatées, des abus sont commis, lorsque la probité est mise à mal », Hélène Guillet s’inquiète néanmoins d’une tendance à  « l’automatisation de la sanction, où la commission de l’infraction se déduit de la seule méconnaissance de la règle de droit ».
Le SNDGCT demande donc, entre autres, « que soient précisées les conditions d’exonération et de modulation de la sanction en tenant compte de la cause, des circonstances ainsi que de l’absence de compétences ou de moyens affectés », et que soit « mieux pris en compte l’élément d’intentionnalité, dès lors qu’aucun bénéfice personnel n’est constaté ». Le syndicat plaide pour une meilleure reconnaissance du « droit à l’erreur » et pour « un régime de présomption d’innocence renforcée » : « Aucun dirigeant public ne devrait avoir à répondre de faits qui, sans lien direct avec une faute personnelle, relèvent de la stratégie collective ou de l’orientation politique de la collectivité ».
La prise en compte de ces évolutions demandées tant par les élus que par les administrateurs territoriaux, avant les élections, semble hautement souhaitable. Elle n’empêchera pas, comme le souligne la Smacl, que l’appropriation du cadre juridique par les nouveaux élus, en 2026, sera un enjeu majeur si l’on veut voir s’enrayer la tendance à la hausse des mises en cause d’élus. Jérôme Baloge rappelle que le CNFPT, pour les agents, et les Universités des maires organisées par Mairie 2000 et les associations départementales de l’AMF sont autant d’acteurs « incontournables » pour effectuer ce travail de formation.
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