(Vu sur la Toile)
Giorgio Armani, le dernier empereur de la mode italienne, est mort
(Article de Sokha Keo • © Figaro Live)
Le Figaro.- En toute discrétion. Sa vie, sa créativité, sa disparition. Jusqu’à la fin de ses jours, Giorgio Armani a entretenu la distance essentielle à une existence superflue. Une manière de se protéger et de prendre part aux bonheurs du quotidien, des plus simples aux plus luxueux, des plus futiles aux plus profonds, des plus solitaires aux plus mondains. Le créateur, né le 11 juillet 1934 à Plaisance, dans le nord de l’Italie, s’est éteint. Il laisse derrière lui des pièces culte d’un dressing qui se conjugue au masculin-féminin. Avec un style minimaliste et sophistiqué à la fois, tout en fluidité et nuances.
Lorsqu’il débute en tant que styliste indépendant, en 1970, Giorgio Armani a déjà passé neuf ans auprès de Nino Cerruti à apprendre l’art du tailoring. En 1974, il crée sa marque de prêt-à -porter avec un capital de 10 000 dollars épaulé par l’architecte Sergio Galeotti, son compagnon dont le décès à 40 ans en 1985 le laissa inconsolable. Quarante ans plus tard, il révélait dans les colonnes du Figaro que le seul regret de sa vie était « naturellement que Sergio ne puisse voir ce qu’Armani est devenu ». « Sergio a été le moteur de ma carrière. Il a cru en moi avec l’inconscience de ceux qui aiment et qui, ne doutant pas de vos faiblesses, vous forcent à vous dépasser », racontait-il.
La première collection masculine est immédiatement remarquée. L’un des modèles présentés, une veste déstructurée sans doublure, fait sensation. Et va préfigurer des décennies d’assouplissement du costume et de l’allure, la fameuse « sprezzatura», du terme italien intraduisible désignant l’élégance décontractée. Cette reconnaissance encourage le binôme à développer rapidement une ligne féminine. Un an plus tard, les premières pièces pour la saison printemps-été 1976, marquent un tournant dans la mode. Milan devient, avec Paris, une capitale où s’habiller en s’affranchissant des codes anglais. L’élégance est de rigueur. Les matières et le made in Italy symbolisent des créations de grande qualité. Giorgio Armani apporte un modernisme très attendu après l’époque contestataire post-soixante-huitarde. Les femmes enfilent des costumes fluides, associés à des talons plats, pour aller au bureau. Leurs silhouettes souples révèlent leurs personnalités sans ostentation.
Une gente prête à en découdre avec les stéréotypes qui profite du savoir-faire du créateur. Celui-ci joue habilement la carte du féminin-masculin, brouille les pistes et s’affranchit des codes. Hors mode, il travaille des lignes intemporelles, sobres et élégantes. L’esthétisme Armani séduit. De saison en saison, le combo entre simplicité et raffinement fait des émules, jusqu’aux dégradés de beiges, taupes, gris et noirs. L’hiver, il décline tailleurs, robes longues et manteaux enveloppants dans des tissus lourds et chauds parfois rehaussés de broderies ou tranchant avec des tops transparents. L’été laisse place aux matières soyeuses et légères, ondulations satinées et joyeuses sur les corps dénudés.
Lors d’une conférence de presse, en novembre 2019 à l’occasion de la présentation de la collection Transformisme à Milan, il déclarait : « Je veux donner aux femmes plus de liberté et de possibilités d’être différentes, ma proposition est destinée à une femme qui veut pouvoir se transformer au gré de ses humeurs et de ses sensations. Où elle veut, quand elle veut. En mixant les genres. » Un modernisme cool qui dépasse les frontières. Et ce, depuis plus de quarante ans.
Le couturier suit un scénario bien ficelé en prêtant son style aux acteurs et actrices qui comptent. En 1978, Diane Keaton reçoit, habillée en Armani, un oscar pour son rôle dans Annie Hall de Woody Allen. Le rêve américain ne fait que commencer. Deux ans plus tard, Richard Gere crève l’écran, vêtu des costumes cintrés, dans American Gigolo. Les ventes explosent et son nom circule. De cérémonie en festivals dédiés au 7e Art, il devient la référence des photocalls. Les succès se suivent. En 1987, dans Les Incorruptibles de Brian de Palma, Armani revisite les années 1930. Sean Connery, Kevin Costner et Robert de Niro se drapent de manteaux oversized, costumes trois-pièces ajustés et Borsalino. Les collaborations avec les plus grands costumiers d’Hollywood se multiplient : Ocean Thirteen de Steven Soderbergh, The Dark Knight Rises de Christopher Nolan, Le Loup de Wall Street de Martin Scorsese, A Most Violent Year de J. C. Chandor, etc.
Le casting des fidèles de la marque est impressionnant
De Cate Blanchett à Leonardo di Caprio en passant par Isabelle Huppert, tous apprécient ce rapport à l’élégance. Son attrait pour les coulisses ne se limite pas au grand écran. En 2010, il surprend, en signant une robe futuriste aux tubes fluorescents pour Lady Gaga lors des Grammy Awards. Il dévoile une nouvelle facette de sa créativité et imagine quatre looks pour la tournée asiatique de la chanteuse The Born This Way Ball tour en 2012. Les groupies qui connaissent à peine la griffe découvrent leur idole dans un body en plexi transparent, un top aux épaules démesurées recouvertes de clous ou une minirobe de métal. Des tenues audacieuses qui tranchent avec l’image de la maison italienne.
Son talent ne se limite pas aux jeux de matières. Chef d’entreprise de talent, il comprend très vite l’enjeu de la diversification. En 1981, il propose la ligne de sportswear Emporio Armani. Suit une déclinaison de collections pour toucher une large cible, de l’enfant à la haute couture : Armani Jeans, Armani Junior, Emporio Underwear, AX Armani Exchange, Giorgio Armani Privé. Cet empire colossal ne serait rien sans les parfums, lancés en 1982, qui pèsent lourd dans le chiffre d’affaires de la maison. Ce visionnaire sent très tôt le potentiel du « lifestyle ». Une Fondation Armani voit le jour en 2016. Il s’ouvre à la décoration d’intérieur, l’hôtellerie et la restauration. Le groupe compte aujourd’hui cinq cents boutiques dans quarante-six pays. Pas question de céder à l’appel d’investisseurs extérieurs. Giorgio Armani considère l’indépendance économique comme « la valeur fondamentale pour travailler en pleine liberté, sans conditionnement ».
En octobre 2024, à tout juste 90 ans, il orchestrait un défilé XXL à New York pour fêter la réouverture de son flagship sur Madison Avenue. En janvier 2025, il marquait les vingt ans de sa haute couture Armani Privé dans un très beau « palazzo », au 21, rue François-Ier (8e) qu’il venait juste d’acquérir. Toujours dans la ville lumière qu’il aimait tant, il prévoyait de célébrer ses 50 ans de carrière en clôture de la Fashion Week de Milan en septembre prochain. Il disait que le secret de sa longévité résidait dans son indépendance, son désir renouvelé de relever de nouveaux défis, mais aussi son obstination à rester fidèle à son style. « Ce qui me distingue, c’est ce sens de l’élégance sophistiquée mais très naturelle et mon souhait de créer des vêtements comme du mobilier qui puissent envelopper la personne sans l’écraser. J’ai sans cesse cette phrase à l’esprit : « L’élégance, c’est l’art de ne pas être oublié sans se faire remarquer. »
(Source : Le Figaro)