Natif de Najac, dans l’ouest Aveyron, Jean-François Ferrié, célèbre restaurateur, à Rodez notamment, et entr’autre, aura surtout été, dans les années 90 à 2000, le chef-cuisinier (français) le plus renommé de la fière capitale catalane, Barcelone

 

Avec d’autres restaurateurs aveyronnais – dont David Bouviala (Hostellerie du Levézou à Salles Curan), Bernard Charrié (Hostellerie de Fontanges à Onet-le-Château), Michel Bras (Lou Mazuc à Laguiole), Roger Raulhac (Le Moderne à Espalion), Alain Tournier (Le Plangeirou à Sainte-Radegonde), Hugues de Leyssac (La Muse et Le Rozier à Peyreleau dans les Gorges du Tarn) -, réunis dans “Les 7 Forts en Goût”, Jean-François Ferrié reçoit le Trophée du Tourisme et de Communication Midi-Pyrénées (1986).

 

 

Incontestablement, et c’est incontesté, Jean-François Ferrié aura marqué la cuisine de son époque, de toute une époque. C’est dans le très réputé restaurant La Tour d’Argent* (de Claude Terrail), à Paris, qu’il a fait ses premières armes devant les fourneaux. Toujours dans la capitale, on le retrouve tour à tour chez le traiteur Fauchon, puis dans un illustre restaurant… Il a des fourmis plein les mains, jusque dans les casserolles et autres gamelles, tellement il ambitionne d’avoir son propre Chez Soi, ce afin de s’adonner pleinement et audacieusement à sa passion culinaire, nez en l’air et des idées plein la tête.

Finalement, sa bougeotte, ou plutôt sa boussole, (re)trouvera ses racines rouergates, et c’est à Rodez qu’il jette l’ancre, sur l’avenue Durand-de-Gros, où il ouvre avec son épouse Simone son restaurant, “Le Régent”, dans les années 70.

Rapidement, c’est l’endroit où les Ruthénois se doivent d’être vus, pour être reconnus. En ce temps-là, les fameux bougnats qui ont fait fortune en montant à la Capitale (ici c’est Paris), lorsqu’ils redescendent au pays le temps des vacances, et qu’ils viennent au moins une fois à Rodez durant leur séjour poussés par la nostalgie des lycées Foch et Fabre, se mettent à table au Régent, à Fontanges, ou encore au Broussy.

C’est encore au Régent, avec des amis journalistes localiers, qu’il innove en organisant chaque semaine des dégustations “à l’aveugle” autour de charcuteries aveyronnaises. Vous parlez d’un scandale ! Car il n’hésite pas à enfoncer le clou, propos virulents à l’appui – “C’est dégueulasse !” -, lorsqu’une saucisse, un saucisson, un pâté, une terrine ne sont pas à la hauteur de ce qu’il estime “être ou ne pas être digne d’un repas”. Cela lui vaudra quelques procès. Qu’il gagnera. Ah !, les goûts et les couleurs (et les saveurs ici en l’occurrence).

Fin des années 80, Simone et Jean-François Ferrié s’installent sur les hauteurs de Rodez, dans le sublime Parc Saint-Joseph, mis à leur disposition par un grand entrepreneur en BTP. L’endroit est flambant neuf. Les lieux sont chic. Toutes le conditions sont désormais réunies pour que Jean-François Ferrié entre dans le firmament du Michelin par la grande porte. Mais le Chef ne va pas si plaire longtemps. Il démissionnera.

Commence alors le grand voyage à Barcelone. Où il se rend à l’invitation de son ami catalan, Carlos Masferrer, rencontré la toute-première fois à Paris, chez Fauchon. En 1990, les deux hommes ouvrent le “San Pauli”, carrer Pau-Claris, dans le centre-ville. Immédiatement, le restaurant rencontre un joli succès, au point d’alimenter les chroniques gastronomiques de tous les médias.

Barcelone n’est pas que la capitale de la Catalogne. Elle est une authentique capitale de la gourmandise mondiale, et cela Jean-François Ferrié l’a vite compris, intégré, assimilé. Quelque part, à sa façon, il a réinventé la tradition gastronomique catalane en la diversifiant avec ses influences aveyronnaises. “Le succès de Jean-François Ferrié en est la preuve la plus éclatante. La plus réjouissante et savoureuse, ajouterons-nous”**.  Les fins gourmets barcelonais n’oublieront pas sa recette de Pasta de full cruixent amb rocafort… ou encore son Pot au feude verdures amb tires de foie gras i làmines de tofones. Et bien évidemment, il leur a fait découvrir l’aligot.

Jean-François Ferrié se fait rapidement un nom (et un prénom). A peine deux ans plus tard, plus loin, le Lozérien Jacques Blanc***, alors député-maire de La Canourgue et président de la Région Languedoc-Roussillon, lui confie les cuisines de l’ambassade régionale à… Barcelone ! Tout est neuf. La Région a mis le paquet pour faire des lieux la vitrine du Languedoc-Roussillon à quelques mois des Jeux Méditerranéens de 1993.

Jean-François Ferrié est dans son élément. Il exulte, il peut enfin se réaliser complètement et hors dimension : il triomphe. Tous les matins, tranquillement, il va pêcher son poisson à La Boqueria, le célèbre et emblématque marché municipal barcelonais du centre, situé sur les ramblas. Un labyrinthe de plus de 2 500 m² où s’encastrent plus de trois cents stands. “Il est impossible de penser à un produit introuvable à La Boqueria !”.

 

 

 

 

Il n’est pas rare de retrouver notre cuisinier aveyronnais accompagné de caméras et de micros, tellement les journalistes sont friands de sa verve, de son humour, de ses anecotes. Et en plus il adorait ça. On se souvient de son entretien avec Jacques Chirac, dans son bureau de maire de Paris, en 1989, diffusé dans le Jité de France 2. On y voit Jean-François Ferrié interviewer le futur Président de la République dans un burlesque amphigouri. Jacques Chirac mettra un certain temps avant de comprendre… et ne lui en voudra jamais.

La page barcelonaise sera définitivement tournée par le maire de Montpellier, Georges Frêche, successeur de Jacques Blanc à la présidence de la Région, qui décidera de fermer le site en 2014. Il faudra attendre 2018 pour que la totalité des locaux soient vendus. Le quotidien “El Periodico” avait pourtant baptisé “la Maison”, avec aux commandes le célèbre chef aveyronnais, “l’ambassade du sud de la France”. Pourtant erncore, en une poignée d’années, “la Maison” avait accueilli 150 conférences de presse, organisé une cinquantaine d’expositions d’artistes régionaux, vendu 50 000 nuitées pour l’hôtellerie du Languedoc-Roussillon… et pas moins de 250 000 personnes avaient fréquenté son restaurant (en même temps qu’elle a servi 200 000 bouteilles de vins du Languedoc-Roussillon). Elle a même reçu le prix “Meilleure relation avec les médias”, décerné par l’association des journalistes et écrivains catalans du Tourisme. Mais pour Georges Frêche, “ça restait un gouffre financier”

Jean-François Ferrié était ainsi : un lien inestimable des plaisirs terrestres en l’Aubrac et la Catalogne.

 

La Rédaction de Ouillade.eu adresse ses sincères condoléances à son épouse Simone Ferrié, à leurs filles Céline et Emmanuelle, à leurs époux Raphaël et Oscar, ainsi qu’aux petits-enfants Hugo et Léa.

 

L.M.

-Les obsèques auront lieu le lundi 2 juin, à 10H 30, en l’église d’Orlhaguet

 

*Le restaurant La Tour d’Argent fut classé trois étoiles au Guide Michelin de 1933 à 1952 et de 1953 à 1996 avec André et Claude Terrail.

**Préface de Rémy Loury, “Els secrets gormands de la Maison du Languedoc-Roussillon” (paru en 1997) par Jean-François Ferrié.

***Dans son livre de recettes “Els secrets gormands…”, Jean-François Ferrié créera en l’honneur de Jacques Blanc : la Mitjana de bou amb “pascades” de Lozère.