*Charles Koeck, diplômé de l’Ecole Centrale de Paris et docteur en mécanique des fluides de l’Université Pierre et Marie Curie, a passé toute sa longue carrière dans les entreprises aéronautiques françaises Matra, puis Airbus Defence & Space, en contact permanant avec leurs équivalents américains, anglais et allemands, notamment. Il séjourne régulièrement à Collioure où, en novembre dernier encore, il tenait une passionnante conférence sur le thème de “L’exploration de l’Univers par les ondes spatiales”. D’actualité !

 

Photo de la maquette de GAIA, une pièce du petit musée privé de Charles Koeck.

 

 

Le 15 janvier dernier, GAIA a arrêté la collecte des données scientifiques, après plus de dix ans d’opérations au point de Lagrange L2. Sa durée de vie nominale était de cinq ans, GAIA a donc tenu le double…

 

Le peu de gaz restant dans le réservoir va servir à réaliser quelques manips technologiques, afin de comprendre toutes les finesses du fonctionnement de la sonde. Ceci dans un double but: améliorer le traitement des données scientifiques enregistrées au sol pendant ces 10 années d’opérations, et tirer tous les enseignements sur le comportement de la sonde en vue de lui donner plus tard un successeur encore plus performant.

En mars prochain, GAIA sera passivé et définitivement éteint. Ceci sera marqué par une cérémonie à l’Agence Spatiale Européenne (l’ESA).

La passivation a pour but d’éviter que la sonde génère des débris après sa mort ; pour cela, on vidange tous les réservoirs, on déconnecte la batterie et on la décharge totalement.

-“Mais la mission de GAIA ne sera pas finie, loin de là !, s’enthousiasme Charles Koeck. “Il reste encore au moins 10 ans de traitement des données enregistrées au sol par les équipes scientifiques du DPAC (Data Processing & Analysis Consortium). Sans parler de tous les astronomes du monde entier qui utilisent les données issues du DPAC pour leurs recherches propres. Sachez qu’à l’heure actuelle, plus de 20 000 publications ont été faites à partir des données de GAIA, et ce n’est pas terminé”

 

 

Un peu d’histoire maintenant

 

 

Le premier satellite d’astrométrie spatiale s’appelait Hipparcos, fabriqué pour l’Agence spatiale européenne (ASE) par l’entreprise de Charles Koeck, qui s’appelait alors Matra Espace. Hipparcos était basé sur le principe d’un double télescope balayant continument la voute céleste, permettant une mise en Å“uvre innovante de la technique bien connue du parallaxe. Le principe d’Hipparcos avait été proposé dans les années 1960 par le célèbre astronome Pierre Lacroute.

“Hipparcos a été lancé en 1989 et a produit un catalogue d’étoiles d’une précision révolutionnaire pour l’époque. Le catalogue d’Hipparcos recense la position de 200 000 étoiles, avec une précision de 1 mas (1 millième d’arc-seconde, “la taille d’un astronaute sur la lune vu depuis la Terre” comme on disait alors)”, précise Charles Koeck.

Il poursuit : “GAIA reprend le principe d’Hipparcos, mais avec une précision et une sensibilité décuplées grâce à un instrument très innovant mis au point par Airbus : la taille du catalogue passe à 2 milliards d’objets célestes avec une précision 100 fois meilleure (« pièce de 1 Euro sur la lune vue depuis la Terre »). Chaque objet céleste est observé en moyenne 20 fois par an (200 fois sur la durée totale de la mission), ce qui permet de suivre son mouvement au cours du temps. Pour ma part, j’ai démarré le projet comme responsable de l’étude dite « GAIA reassessment Study» en 2002, quand l’ESA nous a contactés pour nous confier une mission simple : diviser le coût du programme par deux ! En effet, l’avant-projet initial était plutôt « monumental », avec deux gros télescopes complètement indépendants, un parasol à déploiement 3D impossible à tester au sol, un lancement par Ariane 5, etc.”.

Charles Koeck précise : “L’ESA nous a laissé carte blanche pour cette étude : la condition était de diviser le coût par deux tout en dégradant le moins possible la performance scientifique. Un passage quasi-obligé pour cela était de concevoir une sonde compatible du lanceur Soyouz, trois fois moins cher qu’AR5. Nous avons monté une « équipe commando » pour concevoir le GAIA nouveau, composée de deux groupes : le premier en charge de l’Astromètre (l’instrument scientifique) et le second en charge du reste de la sonde (« l’écrin » autour de l’instrument). L’idée révolutionnaire proposée par mon collègue chef du Département « Futurs Instruments Optiques » a été de combiner les deux télescopes sur un plan focal commun, avec toutes les astuces nécessaires pour pouvoir distinguer les étoiles imagées par le premier télescope de celles imagées par le deuxième. Le gain en masse et en coût a été déterminant !”.

Ensuite, toujours Charles Koeck, “la conception en céramique de tout l’ensemble opto-mécanique a permis de rendre l’encombrement et la masse de l’astromètre compatible d’un lancement par Soyouz. C’était un sacré pari… Mais on n’avait pas le choix, la technologie classique (optiques en verre + structures en fibre de carbone) conduisait à une infaisabilité. Concevoir le reste de la sonde autour ce cet astromètre très compact n’a été alors qu’un jeu d’enfant (enfin, presque… il a fallu par exemple tenir compte de la relativité restreinte d’Einstein pour la gestion du temps bord, comme pour le GPS). Les études de faisabilité ont conclu que le compromis coût-performances était parfaitement en ligne avec les objectifs scientifiques de la mission”.

En juin 2005, l’ESA a lancé l’appel d’offres pour la réalisation de la sonde : “Nous avons passé tout l’été à trimer comme des forçats pour remettre notre proposition en septembre 2005 (personnellement, je n’ai pu sauver que la semaine du 15 août pour les fêtes de Collioure ! Et encore, avec un fil à la patte…). L’ESA nous a informés la veille de noël que nous étions les gagnants de la compétition. L’entreprise était fermée pour cause de congés de fin d’année, mais nous avons pu quand même nous y retrouver tous ensemble pour ouvrir une première bouteille de champagne !”.

L’équipe projet pour la réalisation de GAIA a alors pris le relais.

De son côté, Charles Koeck est reparti à la recherche des projets futurs : Mars Sample Return, JUICE et Ariel pour ceux qui ont abouti, plein d’autres qui n’ont pas dépassé le stade de l’étude de faisabilité. “GAIA a été lancée en décembre 2013 de Kourou ; quelques minutes après la séparation lanceur, le déploiement du parasol a été activé (la séquence dure 20 minutes). Je vous laisse imaginer la tension alors… jusqu’à la réception du signal montrant que le parasol était verrouillé en position déployée et que les panneaux solaires débitaient la puissance nominale. J’ai repris du service sur GAIA en 2015, quant il s’est agi d’analyser et traiter les petites anomalies qui sont apparues après l’activation de l’astromètre, une fois arrivé au point de Lagrange L2. J’ai fait partie du groupe de travail en charge de ces investigations jusqu’à mon départ à la retraite le 30 juin 2015**.

Il conclut : “Ces anomalies n’ont pas empêché GAIA de produire ses résultats extraordinaires, mais on est frustrés de ne pas les avoir toutes expliquées… Ce sont ces investigations qui vont reprendre maintenant, jusqu’à l’épuisement du gaz servant aux micro-propulseurs du système de pointage de la sonde. Voilà donc mon aventure GAIA… Ce message est sans doute un peu trop long, mais je souhaitais partager avec vous cet épisode de ma vie professionnelle qui m’a apporté tant de satisfaction et de fierté. En espérant que JUICE m’en apportera autant !”.

 

**L’extrait GAIA de sa présentation au Centre Culturel de Collioure le 9 novembre dernier

Présentation GAIA

L’article du Groupe de travail sur les anomalies en vol de GAIA, pour ceux qui aiment la physique et les équations.

GAIA-2016-WG