TémoignageÂ
–“Nous sommes éleveurs de porc en liberté à Eus dans les Pyrénées-Orientales (140 porcs avec atelier de naissance et laboratoire de transformation pour maitriser notre production de qualité). Nous sommes installés depuis 9 ans au bord de l’ancienne route nationale 116 (nouvellement RD66) et le long d’une voie ferrée sur la ligne Villefranche – Perpignan. Notre vie a basculé à 6H 15, le 24 juillet 2024
Nous avons entendu un énorme bruit comme une bombe juste devant notre maison. Nous sommes donc sortis pour comprendre et quel fut notre choc quand nous nous sommes aperçus qu’un énorme nuage de poussière se dégageait de la voie ferrée.
Je me suis donc précipité le long de mon grillage pour voir.
Un train avait déraillé juste en-dessous de moi. L’avant du train était dans un piteux état, je ne voyais que l’avant car l’arrière était caché par le pont qui donne accès à ma rue.
Je décide donc de descendre sur la voie pour porter secours aux blessés et je crie à mon conjoint d’appeler les pompiers.
En arrivant sur la voie, le conducteur du train descend, la tête en sang, et me dit “y’avait un tronc sur la voie, je n’ai pu rien faire”.
Je lui dis donc de s’asseoir et que les Secours arrivent.
Je me dirige vers les premières portes du train. Je vois à l’intérieur la contrôleuse qui m’explique qu’elle ne peut pas ouvrir la porte.
Ensemble, nous décidons de casser la vitre pour sortir les passagers.
Ils étaient huit voyageurs avec quelques blessures légères mais surtout traumatisés.
Les pompiers arrivent en passant sur le pont, ils prennent le relais et se garent dans mon exploitation pour sortir les gens de la voie en contre-bas. Il est 6H 40 environ.
N’étant plus d’aucune utilité, je décide de m’habiller (j’étais en pyjama) et je réfléchie… Un tronc ??? Pas possible… Très peu d’arbres et, en période de sècheresse, bizarre…
Mon cerveau cogite et je me dis qu’il est possible que ça soit un de mes ânes qui se trouvent sur un pré, à deux cents mètres juste au-dessus de la voie et qu’une ânesse aurait pu avoir peur de quelque chose et serait alors descendue sur la voie.
Je décide donc d’y aller pour vérifier.
Je retrouve tous mes ânes, bien en vie et les pieds dans l’eau (environ 1 cm d’eau dans mon prés).
J’identifie la source de l’eau et je m’aperçois qu’une vanne murale du canal est relevée, laissant donc l’eau arroser allégrement mon champ où mes ânes pâturent.
Instinctivement, je la ferme et je retourne sur le lieu de l’accident, rassurée que mes ânes n’aient pas causé cet accident.
Je remarque au-dessus de la voie, plus tard, un attroupement de “gilets orange”. Ils regardent en contre-bas, en direction de la voie.
La cause de l’accident est là . Le talus de terre s’est effondré sur la voie (environ 2 ou 3 m²) avec un arbre de taille raisonnable (une dizaine d’années).
Le train, donc, a déraillé à cause de la présence d’un tronc et un peu de terre sur la voie et, ainsi, a percuté le pont plus loin, ce qui a eu pour conséquence de stopper son glissement et son probable renversement sur le côté.
Voilà les faits. Ce qui en résulte et une bataille entre la SNCF (pot de fer) et les riverains, usagers, mairie (pot de terre).
Deux jours après l’accident, première expertise de la SNCF : pont à la limite de s’effondrer, minimum quatre mois d’arrêt du train.
Toutefois, dirigeant de la SNCF et sous-préfet de l’arrondissement de Prades se veulent rassurant sur la suite devant les caméras… Pont fermé à toute personne, même à pied, et détour pour arriver chez moi de cinq kilomètres…
Coté enquête : un témoin certifie qu’il n’y avait pas d’eau sur ce champ à 21H le soir ; un autre témoin déclare que d’autres vannes murales ont été relevées ces derniers temps.
J’ai notifié quand même aux gendarmes (BR de Prades) que la voie est une ligne droite… Pourquoi le conducteur n’a pas freiné avant ? Réponse “ébloui par le soleil, il n’a rien vu”. Or, à 6H 15, le soleil pointe à peine son nez et la voie est en contre-bas, donc à l’ombre… (il fait jour mais pas encore assez haut dans le ciel pour aveugler). Bizarre.
Maintenant arrivent tous un tas d’expertises mandatées soit par la SNCF, soit par la mairie, soit par la gendarmerie :
-Une expertise qui annonce que le pont va s’effondrer d’une minute à l’autre et une autre qui dit qu’il n’est même pas fragilisé et qu’il suffit juste de le réparer pour une somme dérisoire de 55 000€.
-Une autre expertise qui dit que l’accident est dû à un phénomène géologique provoqué par la sècheresse et que l’eau n’est pas rentrée dans la terre, qu’elle a créé une poche sur le talus et qu’elle a explosé sur la voie. Avec en plus une défaillance de l’obligation par la SNCF de gérer ses eaux d’irrigation par des canaux au-dessus de leur voie.
Etant propriétaire de la parcelle, j’ai assisté à toute ces expertises (avec obligation de me taire sauf pour la SNCF).
Dès le début nous avons demandé à mettre l’eau pour voir ce qu’il se passe. Refus catégorique de la SNCF.
Seule la dernière expertise, effectuée par un géologue mandaté par le tribunal judicaire de Perpignan (en décembre 2024) a bien voulu faire un test.
Il s’avère que l’eau arrive au bout du champs en quinze minutes, qu’elle bute contre un ouvrage fait par la SNCF, qu’elle rentre dans des trous de taupe, toujours sur le terrain de la SNCF, et ressort au milieu de talus à deux mètres de la voie.
Le rapport d’enquête à ce jour n’est toujours pas publié ! Un an après !
En même temps que ces expertises la mairie d’Eus (propriétaire du pont) essaye par tous ces petits moyens de ne pas détruire ce pont.
Mon conjoint étant conseiller municipal a aidé la Mairie au mieux.
En premier lieu, la mairie a essayé de justifier que le pont était réparable, la SNCF a clairement dit qu’elle ne pendra jamais le risque de faire passer un train sous ce pont.
La Mairie a donc proposé de le détruire et de la reconstruire. La SNCF a rétorqué que c’était possible mais qu’avec les nouvelles normes il fallait se reculer de cinq mètres de la voie. Or, si on recule de cinq mètres, le pont se retrouvera sur la RD66, donc pas possible.
La société Dassé TP qui aide la mairie côté technique a expliqué que ce n’était pas vrai, que c’était trois mètres.
La Mairie a donc demandé à la SNCF de vérifier, de recalculer et, après des semaines : “nous nous sommes trompés”… c’est bien trois mètres à partir du milieu de la voie.
La Mairie a donc demandé un devis à Dassé TP pour détruire le pont et le reconstruire. La SNCF rétorque : “Que la Mairie n’a pas pris un bureau d’étude agréé par SNCF” !
La société Dassé TP propose à la Mairie un bureau d’étude agréé par SNCF Cogecy basé à Marseille (Bouches-du-Rhône). Gratuitement, ce bureau ferrait l’étude pour aider. Génial !
La Mairie propose donc à la SNCF cette étude avec devis pour un montant de 550 000€ tout compris. La SNCF rétorque que la Mairie n’a pas légitimé la société Dassé TP… Conséquence : c’est donc interdit de passer par eux et du coup cette étude ne vaut rien pour eux. Rideau !
Pendant ce temps la, l’association des usagers du train “Train en Têt” organisait plusieurs actions pour que le dossier avance et que le train circule.
Plusieurs réunions techniques en sous-préfecture de Prades ont été organisées sans qu’aucune solution ne soit trouvée, car pas de responsable donc pas d’engagement de frais.
La Mairie étant en difficulté financière, elle ne peut pas financer les travaux et ne peut pas non plus autoriser la démolition de ce pont sans garantie de reconstruction.
Entre temps, le maire a démissionné pour d’autres raisons et le Premier adjoint a pris sa place, il y a de cela deux mois.
La SNCF et le sous-Préfet auraient fait pression sur lui pour démolir ce pont avec un protocole rédigé par la SNCF.
Le nouveau maire n’aurait eu d’autre choix, il semblerait, que de céder… Il a signé, avec un Conseil Municipal réduit à quatre personnes, un protocole de démolition qui empêchera toute reconstruction du fait des spécificité techniques et qui coûtera à la commune la modique somme de 450 000€…
Nous avons donc (nous les riverains) occupé la salle du Conseil Municipal d’Eus, le vendredi 25 juillet 2025, pour demander des comptes.
Nous sommes conscients de la difficulté du dossier mais voilà nos préjudices (nous : 1 exploitation agricole, 1 chambre d’hôte, 1 centre d’éducation canine et trois particuliers) :
-Dévaluation de nos biens ;
-Plus d’accès à la route principale ;
-Route secondaire dans un état lamentable qui abime nos véhicules ;
-Plus de possibilité de livraison car route secondaire interdite aux véhicules de 19 tonnes ;
-Plus de garantie d’eau potable après démolition du pont (le tuyau passe dans le pont et ils comptent le mettre en “aérien”).
Nous avons décidé d’organiser une petit manifestation, le 31 juillet 2025, devant la sous-préfecture de Prades, histoire de se faire entendre…
Les gendarmes nous ont appelé hier pour nous prévenir qu’ils avaient ordre de sanctionner et de faire respecter la loi, et que je risquai 3 500€ d’amende.
Les renseignements généraux nous ont aussi appelé… Bref, nous avons annulé la manifestation.
Pour conclure, en ce qui me concerne plus particulièrement, si je (me) laisse faire, mon entreprise coule car sans eau potable je ne pourrai pas transformer mes porcs et du coup pas de ventes.
Si je me bat, je risque la prison et des amendes… et, je le répète, je coule mon entreprise aussi car nous n’avons ni les moyens financiers et ni les moyens humains d’assurer.
Si aujourd’hui je lance un cri d’alarme, si j’en appelle à un sursaut médiatique, c’est pour que la pression change de camp.
C’est une vraie supplication d’une femme à bout de souffle qui se bat et qui sent qu’elle n’y arrivera pas seule.
Je refuse que 9 ans de travail, avec les traumatismes physiques et moraux que cela inclus, – arthrose, dos douloureux, jamais de vacances, traumatisme de l’accident, vie d’agriculteur… -, soient détruits en une année par une décision abusive, arbitraire et tellement injuste !
Aurore et Alexandre Torra (Cami de Las Marotxes 66500 Eus)