La guerre étant une affaire d’État, et selon une pente naturelle en France même en temps de paix, c’est vers l’État que tous les regards et toutes les attentes se tournent dans cette nouvelle guerre sanitaire : gouvernement au premier chef, agences de l’État, en matière de santé principalement, opérateurs publics, hôpitaux et services d’urgences – Samu et sapeurs-pompiers – sur le front, organismes de Sécurité sociale ou assurance-chômage pour les prises en charge, etc. L’argent étant le nerf de la guerre, l’État peut compter, pour le moment, sur la Banque centrale européenne, qui accepte, presque sans limite, de racheter les obligations émises, ainsi que sur la Commission européenne, qui a suspendu temporairement les contraintes maastrichtiennes sur la dette et le déficit. S’agissant des victimes et des dommages de guerre, assureurs, groupes de protection sociale, institutions de prévoyance et mutuelles sont, eux aussi, impliqués dans la chaîne d’indemnisations et interpellés bien au-delà de leurs engagements contractuels. Quel est leur rôle dans cette crise ? Quelles réponses sont-ils en mesure d’apporter ? Quelles leçons pourront-ils en tirer ? L’analyse d’André Renaudin, directeur général d’AG2R LA MONDIALE, qui s’exprime ici à titre personnel. 

 

Le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a qualifié de « pandémie » la crise sanitaire provoquée par la propagation du coronavirus Covid-19 depuis la Chine à travers le monde. Le 16 mars, le président de la République a déclaré que nous étions « en guerre ».

 

Touchant mi-avril plus de 180 pays – à comparer à la soixantaine de pays belligérants pendant la Seconde Guerre mondiale et aux 197 États reconnus par l’Organisation des Nations unies –, ayant déjà contaminé 2 millions de personnes, causé plus de 115 000 décès et conduit au confinement de plus de trois milliards d’êtres humains ainsi qu’à la paralysie de l’économie mondiale, cette pandémie constitue manifestement un risque systémique.

La guerre étant une affaire d’État, et selon une pente naturelle en France même en temps de paix, c’est vers l’État que tous les regards et toutes les attentes se tournent : gouvernement au premier chef, agences de l’État, en matière de santé principalement, opérateurs publics, hôpitaux et services d’urgences – Samu et sapeurs-pompiers – sur le front, organismes de Sécurité sociale ou assurance-chômage pour les prises en charge, etc. L’argent étant le nerf de la guerre, l’État peut compter, pour le moment, sur la Banque centrale européenne, qui accepte, presque sans limite, de racheter les obligations émises, ainsi que sur la Commission européenne, qui a suspendu temporairement les contraintes maastrichtiennes sur la dette et le déficit.

S’agissant des victimes et des dommages de guerre, assureurs, groupes de protection sociale, institutions de prévoyance et mutuelles sont, eux aussi, impliqués dans la chaîne d’indemnisations et interpellés bien au-delà de leurs engagements contractuels. Quel est leur rôle dans cette crise ? Quelles réponses sont-ils en mesure d’apporter ? Quelles leçons pourront-ils en tirer ?

 

I-Assurance et pandémie : deux concepts antagonistes ?

 

Selon l’OMS, à la différence d’une épidémie qui correspond à la propagation d’une nouvelle maladie chez un grand nombre d’individus non immunisés dans une région donnée, une pandémie (du grec pan, « tout », et demos, « peuple ») est la propagation mondiale à grande échelle de cette même maladie dans plus de deux continents en même temps.

Après trois pandémies de grippe au XXe siècle, à savoir la grippe espagnole H1N1 en 1918 (qui a causé, selon l’OMS, environ 50 millions de morts), la grippe asiatique H2N2 en 1957 (1 à 2 millions de morts), et la grippe de Hong Kong H3N2 en 1968 (environ 1 million de morts), la grippe A (H1N1) de 2009-2010 fut d’une bien moindre ampleur : 19 633 décès pour 2 millions de personnes contaminées dans le monde (soit moins qu’une grippe saisonnière), dont respectivement 344 et 5 000 en France.

L’OMS avait indiqué en 2009 que rien n’empêcherait la survenance d’une pandémie plus contagieuse et plus mortelle. En effet, même si les conditions médicales et d’hygiène actuelles ont beaucoup progressé depuis 1918, la mobilité croissante de la population, l’augmentation de la densité humaine dans les mégalopoles et l’affaiblissement du système immunitaire résultant de certaines maladies et de certains traitements accélèrent la propagation du virus grippal. De nombreux travaux mettent aussi en évidence l’influence non négligeable de facteurs d’ordre environnemental tels que le réchauffement climatique ou le déclin de la biodiversité, ainsi que la pratique des marchés d’animaux sauvages dans certains pays d’Asie et d’Afrique. En février 2017, Bill Gates, fondateur de Microsoft, avait alerté la communauté internationale sur la probabilité d’une catastrophe de type grippe espagnole ou virus Ebola à l’échelle du globe : « Dans les dix à quinze ans à venir, le monde doit se préparer à une pandémie mondiale. »

Malgré l’histoire et les avertissements, la crise actuelle était-elle difficile à prévoir ? Méconnaissance scientifique  ? Sous-estimation du risque  ? Cécité  ? «  Oculos habent et non videbunt ! »

Qu’est devenu notre principe constitutionnel de précaution ? Qu’avons-nous fait des injonctions de « préparation », paradigme qui inspirait les recommandations internationales ces dernières années ? Certes, il est probable que la crise H1N1 de 2009 a eu pour effet de relativiser le risque et la préparation d’une réponse adéquate à l’actuelle pandémie (« tout ça pour ça » a-t-on dit à l’époque…), alors que d’autres questions sociétales retenaient l’attention : l’environnement, le climat, le vieillissement démographique et ses conséquences (maladies chroniques, dépendance, absentéisme au travail…), le financement et l’organisation du système de soins (le fameux virage ambulatoire qui a conduit à limiter les dotations aux hôpitaux).

À ce propos, l’observation des programmes des candidats aux élections présidentielles de 2012 ou de 2017 est rétrospectivement révélatrice : le seul sujet traité aura été celui de la prise en charge, allant du « tout-Sécu » à des prises en charge variables ou à la suppression de l’aide médicale d’État. Jamais il n’a été question, dans le débat public, du risque d’épidémie, et encore moins du risque de pandémie. À quelques exceptions remarquées près, comme les mesures prises au moment de la crise H1N1 ou la récente promotion de la vaccination, les vraies questions de santé publique ont été éclipsées par des préoccupations plus quotidiennes liées au financement, à l’accès aux soins hospitaliers et ambulatoires, à l’organisation du système de santé et à la gestion des risques standard, plutôt que des risques de pointe, ce qui, par certains côtés, peut se comprendre. Le bon sens imposerait toutefois qu’une politique de santé reposât d’abord sur la définition de priorités de santé publique, d’où découleraient des principes d’organisation des soins, et ensuite seulement de financement  : solidarité nationale par l’impôt, Sécurité sociale par des cotisations et contributions obligatoires, assurances complémentaires collectives ou individuelles, reste à charge des ménages enfin.

La saturation des hôpitaux, le confinement et la mise à l’arrêt d’une grande partie de l’activité économique que nous connaissons actuellement n’ont donc pas été anticipés pour une pandémie de l’ampleur de celle provoquée par le Covid-19.

La crise actuelle se caractérise par son caractère systémique, global et imprévu dans une société médiatique et de transparence, habituée aux épidémies de grippe saisonnière mais qui n’est pas préparée à une pandémie au caractère incertain. Surtout, c’est la première fois depuis très longtemps qu’une crise sanitaire provoque aussi massivement une crise économique, laquelle a pu être comparée à celle de 1929 par l’ampleur de ses effets.

Aux victimes et aux morts tristement décomptés chaque soir, il faut ajouter les conséquences économiques et sociales potentiellement cataclysmiques du recul de la croissance nationale et internationale pendant plusieurs mois : fermeture d’un très grand nombre de commerces et de services, cessations de paiement, faillites d’entreprises, atonie de la consommation, recrudescence brutale du chômage. Si toutes les statistiques ne sont pas encore disponibles, les prévisions les plus optimistes laissent entrevoir une récession d’une ampleur inédite, peutêtre durable. Autrement dit, la sortie du confinement ne signifiera nullement la sortie de l’économie de guerre, bien au contraire, tant l’inventaire des dommages révèlera l’ampleur du désastre : à une phase de sidération succèdera une longue phase de reconstruction, matérielle, financière et morale.

Dans ce contexte, la société, habituée depuis deux générations à la protection sociale, attendra tout de l’État providence. Si le gouvernement annonce que « l’État paiera (tout) », c’est qu’il faut bien avoir un discours de guerre ! Faire appel aux dons (non déductibles) et déclarer qu’il n’y aura pas d’impôts nouveaux en font partie. L’appel aux assureurs certainement aussi, avec cependant plus de consistance, présente et future.

 

II- L’assurance peut-elle être une réponse à la pandémie ?

 

Une assurance est une garantie accordée par un  assureur  à un  assuré  de l’indemniser en cas de réalisation d’un risque, moyennant une prime ou une cotisation. L’opération d’assurance repose sur la mise en place d’une mutualisation des risques entre plusieurs assurés moyennant le versement de cotisations. Cette mutualisation et la tarification du risque reposent sur le recours à des statistiques d’expérience et à la loi des grands nombres  : la probabilité de survenance d’un risque et son ampleur potentielle doivent être mesurables et limitées. La capacité financière de l’assurance, même mondialisée via la réassurance, n’est pas illimitée.

En conséquence, l’assurance ne peut pas couvrir un risque systémique, qui se réaliserait en même temps pour l’intégralité des assurés. Dans la situation à laquelle le monde entier est confronté aujourd’hui, l’assurance n’a pas vocation à couvrir la totalité des dommages causés par une pandémie, ceux pour lesquels elle est contractuellement engagée étant déjà potentiellement considérables. La réassurance est confrontée à la même impossibilité pour un risque planétaire.

Les contrats santé et prévoyance, aussi bien individuels que collectifs, couvrent les risques maladie et la maternité, les arrêts de travail consécutifs à un accident, une maladie ou une maternité, et le risque décès toutes causes, y compris bien évidemment ceux liés à une pandémie. Les effets peuvent être considérables : une hausse significative de mortalité et de morbidité parmi la population assurée entraîne une augmentation de même ampleur des prestations à verser pour les produits vie (garantie décès) et santé (garanties incapacité-invalidité et frais de santé). La directive européenne Solvabilité 2, entrée en vigueur en 2016, impose aux assureurs d’intégrer ce risque dans leur modèle de calcul du capital de solvabilité requis.

De fait, dans la crise sanitaire actuelle, les risques santé et prévoyance liés au coronavirus sont bien pris en charge par les assureurs de personnes, dans le cadre de leurs agréments et garanties contractuelles, dans les limites de leurs contraintes de solvabilité qu’il ne faut pas oublier  : l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP, plus connue par son acronyme anglais d’EIOPA) et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) en France y veillent.

Les assureurs de personnes sont en effet un maillon essentiel de la chaîne des acteurs mobilisés dans cette crise. Si les services de santé privés et publics sont bien évidemment en première ligne, toute la logistique doit suivre  : les agriculteurs et la production alimentaire, les entreprises et les salariés des secteurs du commerce et de la distribution, du transport, de la sécurité, ainsi que la sécurité sociale, indispensable au financement du système de santé.

Les assureurs de personnes sont, eux aussi, au rendez-vous pour prendre en charge les frais de santé et de prévoyance. S’appuyant sur le télétravail, qui trouve ici toute son utilité, tous ont pris les dispositions nécessaires pour assurer avec souplesse le recouvrement des cotisations et avec réactivité le paiement des garanties, qu’il s’agisse des remboursements des capitaux décès, des frais de santé ou des arrêts de travail pour accident, maternité ou maladie, que celle-ci résulte du coronavirus ou pas.

À la différence des organismes de Sécurité sociale, qui versent des prestations sociales réglementaires, les assureurs accordent des garanties basées sur une relation contractuelle. La différence est de taille, la complémentarité – pour ne pas écrire l’assujettissement – des assureurs maladie au régime général soulevant dans ces circonstances exceptionnelles des difficultés accrues.

S’il peut être considéré légitime que les garanties s’appliquent pour les personnes fragiles, en affection de longue durée ou au troisième trimestre de grossesse, mises en arrêt de travail par leur médecin traitant en raison des risques encourus, une lecture trop extensive des clauses contractuelles ne serait pas compatible avec les exigences de solvabilité imposées par le droit européen. C’est toute la différence entre les assureurs et les organismes de Sécurité sociale, sur lesquels ne pèsent pas de telles contraintes financières.

Les assureurs apportent en outre des solutions très utiles aux assurés en finançant, dans le cadre de leurs contrats, des téléconsultations médicales, soit en complément de la Sécurité sociale, soit intégralement lorsqu’il s’agit de plateformes de téléconsultations. Plusieurs d’entre eux soutiennent financièrement des solutions de diagnostic innovantes telles que le site maladiecoronavirus.fr mis en place par l’Alliance digitale. Les groupes de protection sociale apportent également des réponses en termes de soutien psychologique, d’entraide entre voisins, d’activité sportive ou d’aide aux aidants…

La réponse des acteurs de l’assurance va ainsi souvent au-delà de leur action d’assureurs de personnes, pour contribuer, au titre de leur engagement sociétal, à « l’effort de guerre », tout en gardant à l’esprit leurs contraintes de solvabilité. La protection sociale, en effet, c’est l’assurance de personnes, la solidarité en plus. Des mécanismes de solidarité peuvent notamment être mis en place par les partenaires sociaux d’une branche. Certaines prévoient par exemple la constitution d’un fonds social permettant des avantages supplémentaires qui peuvent être accordés en cas de situation difficile, individuelle ou collective. L’ampleur de cette crise en montre aussi les limites, puisque les capacités économiques d’une branche peuvent s’avérer insuffisantes (travail temporaire, coiffure, aide à domicile…) au regard de ses moyens propres, ce qui conduit mécaniquement à l’appel à une solidarité interbranches, si ce n’est nationale… la question du regroupement des branches est à nouveau posée.

S’agissant de solidarité collective avec la nation tout entière, les assureurs membres de la Fédération française de l’assurance (FFA) ont accepté d’abonder à hauteur de 400 millions d’euros le fonds public de solidarité d’un milliard d’euros. C’est ici leur rôle d’acteur économique qui est sollicité.

Toutes ces mesures extra-contractuelles sont possibles et prises dans les limites des contraintes de solvabilité des assureurs. Il est absolument essentiel de ne pas les solliciter au-delà de leurs capacités financières.

L’EIOPA le 1er avril, puis l’ACPR le 3 avril, ont d’ailleurs prévenu que la solvabilité du secteur pourrait être menacée par l’épidémie de Covid-19 s’il était demandé aux assureurs de couvrir des sinistres initialement non prévus dans un tel contexte. En revanche, il est indispensable de réfléchir, pour l’avenir, à l’adaptation du modèle assuranciel et au rôle que peuvent jouer les groupes de protection sociale pour à la fois prévenir et mieux faire face à une telle crise, dont la répétition ne saurait être exclue.

 

III- Repenser dès maintenant l’assurance d’après la crise

 

La sortie de cette pandémie sera matériellement et psychologiquement longue et dure. Il n’y aura pas de « Père La Victoire » comme en 1918, ni l’explosion de joie du 8 mai 1945. Les victimes étaient considérablement plus nombreuses, les souffrances incommensurables, les destructions immenses, l’appareil de production à reconstruire, mais l’ennemi avait été vaincu. La sortie du confinement sera bien différente  : l’économie sera partiellement à l’arrêt, de nombreux secteurs auront subi des pertes irrécouvrables, impossibles à lister ici. À la différence de 1945, nous resterons marqués par la crainte d’une résurgence du virus. Les populations seront suspendues à la découverte d’un vaccin ou d’un traitement curatif efficace. Pour filer la métaphore, nous aurons peut-être l’armistice, mais pas encore le traité de paix.

Dans ce contexte, le risque majeur serait de céder aux sirènes du renforcement du dirigisme de l’État dans la vie économique et sociale ou de céder aux tentations de nationalisme et du protectionnisme. Il est essentiel de renforcer l’Europe pour réduire notre dépendance économique, notamment dans le domaine des produits de santé (médicaments et dispositifs médicaux).

Dès à présent, qu’il s’agisse de l’assurance ou des autres secteurs économiques, une réflexion s’impose pour trouver de nouveaux rapports entre l’État et les acteurs économiques et sociaux. Si, dans cette crise, l’État a un rôle stratégique d’amortisseur économique et social majeur, force est de constater aussi qu’il serait bien démuni sans les agents économiques, les entreprises, les salariés, les travailleurs indépendants, les associations et tous les autres acteurs qui tissent le lien social et créent la richesse de notre économie. Il est donc essentiel que les acteurs privés démontrent qu’ils sont capables d’adapter leur modèle et de changer de paradigme.

 

IV- Si une nouvelle crise sanitaire arrivait, que faudrait-il avoir fait pour mieux la gérer ?
Au moins, nous savons maintenant que l’alerte de Bill Gates sera prise en compte par tous les gouvernements ! Gageons que notre pays sera mieux préparé, car le préalable à toute action est bien de continuer à anticiper. Il ne m’appartient pas de dresser les hypothèses de travail des épidémiologistes ni des virologues, dont les travaux serviront à dresser des modèles statistiques de développements possibles des pandémies futures. Dans ces modèles, il appartiendra aux spécialistes d’évaluer les risques, connus ou potentiels, susceptibles de frapper les populations, avec des hypothèses extrêmes comme, par exemple, celle du risque de pandémie qui pourrait s’attaquer à des plus jeunes et avoir un impact encore plus fort sur la sinistralité et la morbidité. Les pouvoirs publics devront en tirer les conséquences en matière de prévention, protection, équipements hospitaliers, thérapies et soins, etc.

S’agissant des acteurs économiques, ils devront évidemment s’équiper en conséquence pour la meilleure protection possible de leurs salariés et équipes dirigeantes, y compris dans les structures les plus modestes  : les travailleurs indépendants sont également frappés dans leur activité et leurs ressources pour vivre.  Il s’agit bien de revoir tous les plans de continuité d’activité au prisme d’une situation de crise pouvant durer des semaines, voire des mois. Les plans de continuité d’activité présentent d’ailleurs rétrospectivement un intérêt qui n’était peut-être pas toujours apparu clairement aux yeux de tous ces dernières années. Un retour d’expérience sur l’efficacité de la gestion et l’acceptation du télétravail par les salariés sera indispensable,  et des adaptations seront sans doute nécessaires. Le regard sur le monde et l’organisation du travail sera fortement impacté par l’actuelle pandémie.

 

V- Renforcer la prévention et l’accompagnement pour limiter la crise

 

L’une des leçons de cette pandémie est l’accent renouvelé et martelé de l’importance de la prévention et de l’hygiène dans la santé : la gestion sanitaire de la crise repose massivement sur ces deux comportements. Le mot d’ordre est simple et de bon sens : « rester chez soi pour sauver des vies » et « se laver les mains plusieurs fois par jour  ». Ainsi, la prévention et l’hygiène sont-elles considérées comme un remède en soi.

Ce constat simple mais fort ne peut que démultiplier toutes les initiatives prises, avant la crise, pour développer les comportements de prévention à toutes les échelles, et pour toutes les pathologies. Les campagnes de préventionbuccodentaire en sont un excellent exemple, de même que la prévention de l’absentéisme en entreprise. Il n’est pas douteux que les exigences en matière de santé au travail vont s’accroître, tant l’attention des salariés et des employeurs est amplifiée par les mesures recommandées par les autorités sanitaires et décidées par les pouvoirs publics tout au long de cette crise.

Dans le même sens, les services de santé numérique soutenus et financés par les complémentaires santé sont appelés à se développer considérablement, qu’il s’agisse de téléconsultation, diagnostic en ligne, orientation ou suivi à distance, particulièrement mobilisés dans le contexte actuel de la pandémie.

D’autres champs de réflexion mériteraient d’être ouverts, tels que l’éducation ou le commerce de proximité. Toutes les solutions doivent être imaginées pour promouvoir la création de richesse intellectuelle, sociale et économique.

 

VI- Penser à long terme

 

Les semaines de pandémie, de confinement et de mise à l’arrêt d’entreprises de toutes natures et toutes tailles entraîneront aussi un nouveau regard sur les besoins et les demandes de couvertures d’assurance.

Il est significatif de relever que la plupart des contrats de pertes d’exploitation écartent le risque de pandémie, ce qui est légitime du point de vue de l’assurance puisqu’il s’agit d’un risque systémique : pour résumer à l’extrême, l’assurance ne peut pas garantir le PIB d’un pays à l’arrêt, pas plus que le niveau de la Bourse.

L’impossibilité pour l’assurance privée de couvrir complètement les situations d’arrêts de travail est également mise en lumière  : les arrêts de travail pour confinement lorsque le travail à distance est impossible, ceux pour garde d’enfants privés d’école ou de structures d’accueil, ou encore le chômage partiel, qui frappe actuellement 8 millions de nos concitoyens, ne sont pas du ressort des assurances de personnes. En effet, si leurs contrats couvrent les arrêts de travail consécutifs soit à un accident à la personne – agrément en branche 1. Accident – soit à la maladie-maternité – agrément en branche 2. Maladie –, ils ne peuvent couvrir les conséquences des arrêts pour une autre cause, ni juridiquement ni économiquement, puisque la prise de risque n’a pas été tarifée.
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Une étape a été franchie au début du confinement lorsque l’assurance maladie obligatoire a admis que les personnes fragiles pouvaient s’autodéclarer en arrêt maladie. Cette mesure de simplification, en l’absence, souvent, de possibilités de visite médicale, est moralement et économiquement acceptable dès lors qu’elle concerne un nombre limité de cas, estimé potentiellement à 200 000 personnes. L’extension à la possibilité qu’un médecin accorde un arrêt de travail aux personnes proches d’une personne fragile est plus problématique.

L’expérience montre donc, à l’échelle du pays tout entier, qu’il faudra non seulement imaginer de nouvelles garanties de prévoyance dans les contrats, mais certainement encore mieux articuler droit du travail et droit de la protection sociale au sens large, Sécurité sociale et assurances de personnes. En effet, de nombreuses entreprises sont à l’arrêt puisque l’employeur ne peut pas mettre en œuvre les protections minimales sur le lieu de travail qui engagent sa responsabilité ; c’est le cas dans toutes les entreprises où les salariés sont en contact rapproché soit avec leurs collègues, comme dans le bâtiment et bien des entreprises industrielles, soit avec leurs clients, comme le commerce et la distribution. Au demeurant, lorsque l’impossibilité concerne clients et collègues de travail, l’activité a souvent été purement et simplement interdite, comme dans la restauration.

C’est donc bien une obligation de droit du travail qui entraîne un besoin de couverture accrue d’assurance, et c’est bien vers les assureurs de protection sociale que se sont spontanément tournées les entreprises et leurs organisations professionnelles, ainsi que les organisations syndicales d’ailleurs.

Une crise sanitaire d’une telle ampleur par le nombre de personnes frappées et par ses conséquences économiques et sociales en milliards d’euros et dizaine de points de PIB est objectivement une catastrophe. L’emploi de ce mot conduit naturellement à envisager que puisse être déclaré à l’avenir, en cas de nouvelle pandémie, un «  état de catastrophe sanitaire  » par analogie avec l’état de catastrophe naturelle. Le dispositif créé par la loi n° 82-600 du 13 juillet 1982 relative à l’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles, qualifié souvent de « régime », s’est avéré un véritable succès depuis bientôt quarante ans. Conçu initialement comme un fonds public alimenté par une taxe sur les contrats d’assurance, il a été transformé lors des débats parlementaires en un système d’assurance obligatoire alimenté par une surprime sur les contrats d’assurance de biens, avec faculté de réassurance auprès de la Caisse centrale de réassurance. La profession a lancé l’étude, en lien avec les pouvoirs publics, d’un système analogue pour les catastrophes sanitaires. La réassurance sera bien sûr sollicitée, privée ou publique.
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Les assureurs devront également être créatifs pour imaginer de nouveaux services utiles aux entreprises et aux assurés. Pour les entreprises, il faut rechercher des services permettant de faciliter la conduite puis la reprise d’activité afin d’éviter au maximum le ralentissement de la croissance économique. Pour les assurés, il faut en particulier penser à l’accompagnement des personnes pour lesquelles la gestion d’une telle crise est plus compliquée  : personnes âgées, familles monoparentales, familles dont les deux parents ne peuvent garder leurs enfants…

En tant qu’« investisseurs institutionnels », enfin, les assureurs pourront orienter leurs investissements dans la recherche et le développement de toutes les solutions qui permettront d’éviter de nouvelles pandémies : recherche en santé, en particulier pour trouver rapidement des solutions vaccinales en cas de nouveaux virus, préservation de l’environnement compte tenu de son probable impact sur la santé, promotion de l’hygiène. Ils pourront également orienter des investissements dans les entreprises et les technologies de sécurité pour accompagner la régulation des trafics (transports, échanges à toutes les échelles – locales, régionales, nationales, européenne, internationale) et la logistique pour s’adapter rapidement en cas de crise (l’exemple de la Corée du Sud montre que c’est possible…).

Le « combat », la « guerre » que tout le pays mène aujourd’hui contre le Covid-19 nous oblige à anticiper dès maintenant pour ne pas subir demain. Nous devons démontrer que, pour prévenir et mieux gérer à l’avenir d’autres crises, les entreprises et les acteurs sociaux sont capables d’œuvrer dans le sens de l’intérêt général, dont l’État n’a pas le monopole. Après tout, c’est de la Seconde Guerre mondiale que sont nées les ordonnances relatives à l’organisation de la Sécurité sociale qui façonne depuis notre système de protection sociale.  La tentation étatiste trouvera-t-elle comme limite la volonté des corps intermédiaires d’organiser le futur ? La défiance des opinions à l’encontre des pouvoirs publics offre sans doute une chance aux acteurs économiques et aux partenaires sociaux, dans le secteur de l’assurance et au-delà, de prendre la main, de retrouver un esprit de conquête afin d’instituer de nouveaux schémas de pensée.

Gageons que, au sortir de cette pandémie, les acteurs de la société civile sauront relancer le dialogue social pour imaginer, à travers des mesures de bon sens, simples et pragmatiques, un nouveau modèle de protection sociale, privilégiant le long terme, réhabilitant les éclairages scientifiques et permettant une approche plus globale de la santé ainsi qu’un meilleur équilibre entre la solidarité nationale et les solidarités intermédiaires.
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