Touché de plein fouet par la crise du COVID-19, le secteur du tourisme fait face à une profonde remise en question. Jean-François Rial, PDG de Voyageurs du Monde, livre ici son analyse sur le présente et l’avenir de cette activité, qu’elle concerne la France ou les autres pays du monde qui sont confrontés à la même situation.

 

UNE CRISE TOTALEMENT INÉDITE

Face à la gravité de la crise sanitaire mondiale, le secteur du tourisme vit une situation exceptionnelle. Nous avons déjà, par le passé, affronté des situations extrêmement difficiles : la Guerre du Golfe,  le 11 Septembre, l’éruption du volcan islandais  Eyjafjallajökull  qui avait paralysé l’ensemble du  trafic aérien en Europe. Nous avons également déjà traversé à plusieurs reprises des crises sanitaires : SRAS, H1N1… Mais la pandémie de COVID-19 ne ressemble à aucune de ces crises passées. Et ce, pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’elle frappe l’ensemble du monde  sur une durée qui reste  impossible à estimer. L’incertitude, dans un métier qui nécessite d’y voir clair longtemps à l’avance, est terrible. Ensuite, parce qu’elle affecte dans tous les pays autant la capacité de générer des touristes que celle d’en recevoir.

La série de contributions “Coronavirus : regards sur une crise” de Terra Nova s’efforce de mettre en partage des réflexions, témoignages et questionnements suscités par la pandémie de Covid-19 et ses multiples conséquences. Nous avons souhaité à cette occasion ouvrir nos pages à de nombreux partenaires extérieurs d’horizons variés, témoins, acteurs, experts et constituer ainsi un laboratoire intellectuel à ciel ouvert. Les idées qui y sont exposées ne reflètent pas toutes les positions collectives de Terra Nova.
La combinaison de ces facteurs rend la sortie de crise très complexe à entrevoir. Cela nécessite bien sûr que chaque pays (de départ ou de destination) ait retrouvé un état sanitaire stable. À cela s’ajoute la nécessité d’avoir sur place une logistique et des infrastructures qui fonctionnent  à nouveau, c’est-àdire  un  retour à la normale  pour les compagnies aériennes, l’hôtellerie, la  restauration, les lieux culturels. Avec une incertitude sur la capacité économique de ces logisticiens clefs de l’industrie du tourisme à résister et à rester vivants. Certains disparaîtront et mettront du temps à être remplacés. À  l’heure actuelle le virus circule activement  et l’ensemble du monde y est confronté. Même lorsqu’il se trouve sous contrôle, comme cela semble être le cas en Chine, les autorités souhaitent éviter les risques d’une nouvelle contamination. Conséquence, ces pays ferment leurs frontières ou imposent une quarantaine de quatorze jours aux visiteurs, mesure évidemment incompatible avec le  tourisme.  Cette situation  sanitaire grave  devrait vraisemblablement perdurer jusqu’à l’automne 2021.

UNE REPRISE PROGRESSIVE EST-ELLE POSSIBLE ?

Idéalement, le tourisme pourrait reprendre son cours lorsque tous les pays du monde auront endigué la pandémie. Cette configuration optimale risque d’être longue, voire très longue à atteindre. En attendant, une reprise partielle et progressive est envisageable mais dans quelles conditions ? Les pronostics sont variables mais le secteur pourrait connaître une transformation en deux phases. Dans un premier temps – jusqu’au début 2021, voire jusqu’au printemps 2021 –, il faut imaginer une reprise intermédiaire « dégradée » au sein des pays qui seront sortis (ou pratiquement) de la crise. Ce scénario, permettant d’attendre l’arrivée d’un vaccin, repose sur la mise en place de tests sérologiques fiables. Il serait alors possible pour les personnes dont l’immunisation  est  prouvée  de voyager librement. Dans une moindre mesure, les personnes reconnues non porteuses du virus, pourraient, elles aussi, être autorisées à voyager, mais la période de nondétection de l’infection (a priori quelques jours) rend cette hypothèse plus fragile et nécessite une logistique compliquée.

Un autre scénario complémentaire est possible dans ce redémarrage intermédiaire de l’activité : la mise en place de voyages bilatéraux entre deux pays ou un groupe de pays qui auraient éradiqué le virus et resteraient fermés au reste du monde. Imaginons, par exemple, des voyages uniquement entre la France, l’Italie et l’Allemagne. Une hypothèse qui pourrait se généraliser à tous les pays débarrassés du COVID-19. Cela permettrait par exemple une reprise des voyages au sein de l’Union européenne, ou dans d’autres zones.

Ce scénario reste plus fragile que celui basé sur l’immunité étant donné la difficulté d’assurer l’éradication à 100 % du virus. En revanche, les voyages au sein d’un même pays, à huis clos, devraient reprendre de façon importante durant cette phase. Même si, là encore, nous pourrions vivre des situations inédites impliquant des frontières « étanches » à l’intérieur d’un même pays suivant la situation sanitaire d’une région à l’autre. Dans ces conditions, la carte des frontières pourrait bien être bouleversée de manière totalement inédite. Un Parisien pourrait être autorisé à voyager à Berlin mais pas à Biarritz en fonction de la situation sanitaire.

COMMENT L’INDUSTRIE TOURISTIQUE POST-PANDÉMIE POURRAIT-ELLE SE TRANSFORMER ?

Une certitude  demeure  : cette terrible  épreuve  du  COVID-19 n’emportera pas  notre  envie de voyager.  À  l’automne  2021,  une  reprise  frénétique  n’est pas improbable, même si, on le sait, la crise économique liée au COVID-19 aura des répercussions lourdes sur le pouvoir d’achat. À quoi ressemblera  alors un secteur du tourisme, totalement bouleversé par la crise sanitaire ? De nombreuses entreprises à la santé économique ou à la valeur ajoutée trop faible, auront disparu dans la bataille. Nous évoluerons sur un marché probablement réduit, animé par quelques  acteurs solides  et  dont l’offre  leur  permettra  de se différencier.

Et les voyageurs ? Cette crise va-t-elle transformer les mentalités et les façons de parcourir le monde ? À quoi ressembleront les voyages dans 3 ou 5 ans ? Ne rêvons pas trop : le tourisme de masse n’est pas en voie d’extinction car les consommateurs le plébiscitent. D’un autre côté, ceux qui aujourd’hui voyagent de manière plus responsable, plus écologique, continueront à le faire. Globalement, les voyageurs n’en resteront pas moins des consommateurs, pour la plupart sans  sérieuses  préoccupations  de l’impact  de leurs déplacements sur l’environnement. Même si le marché se rétrécit pendant quelques années, les modifications des habitudes de voyage ne viendront pas naturellement des voyageurs, je le crains, qui ne représentent que 1/5 des citoyens du monde. Même en France, grand pays émetteur de touristes, seuls 25 % des citoyens voyagent. Moins de 10 % en ce qui concerne les Américains !

La grande métamorphose du voyage viendra de la politique. Si d’un côté la crise va générer des replis nationalistes à travers le monde, elle va également nourrir la prise de conscience écologique entamée avant  l’épidémie. La menace épidémiologique  reste en effet  l’un des premiers risques évoqués par les spécialistes du réchauffement climatique ou de la biodiversité.

Si la relation n’est pas établie pour le  COVID-19, la pandémie est l’illustration concrète d’un phénomène qui pourrait devenir chronique si aucun changement n’est mis en place. Le confinement de la moitié de la population mondiale durant cette longue période est aussi l’occasion d’une prise de conscience écologiste collective qui aura des répercussions dans les urnes du monde entier.

À son niveau, le secteur du voyage subira la mise en place de taxes écologiques diverses, comme des taxes sur la biodiversité, les réserves naturelles et une véritable taxe carbone conséquente, calculée sur les émissions liées aux déplacements, qui pourrait être collectée comme une TVA. Chaque acteur payant dans la chaîne de valeur son empreinte carbone et écologique. L’impact de ces taxes conduira forcément à renchérir les prix et poussera les voyageurs à partir moins souvent et plus longtemps. La baisse continue des prix dans ce métier, observée depuis 25 ans, va donc cesser. L’époque des voyages à prix toujours plus bas, réservés au dernier moment, la multiplication des séjours courts et des city breaks semble bien en passe d’être révolue. Comme dans l’agriculture, le vrai prix doit être payé, quitte à rétrécir le marché et à ce que le consommateur s’impose des nouveaux arbitrages dans son budget. Ainsi le tourisme va s’insérer dans la transition écologique des pays qui ne pourront plus continuer à détruire leurs écosystèmes. Fini les dommages  infligés aux  parcs naturels pour édifier des complexes hôteliers, terminés les paquebots de 5000 passagers qui polluent les écosystèmes marins.  À  long terme, l’ensemble de ces décisions politiques amènera le tourisme à se transformer. Voyager doit devenir un acte qui respecte les écosystèmes et les populations locales. Il n’est plus possible d’observer, d’une part, le tourisme et, de l’autre, le tourisme responsable. L’ensemble de l’activité doit être en phase avec la planète.  Que cette  analyse  soit  une prédiction ou demeure un souhait, dans tous les cas, le tourisme post COVID-19 ne peut plus espérer survivre sans se réinventer.

Singulièrement en France. Première destination mondiale en nombre d’arrivées, quatrième en revenus, notre pays sera bien sûr touché et plus encore que les autres du fait de sa place de leader dans le tourisme international : le secteur y pèse 9% du PIB (dont 1/3 lié au tourisme international) et 11% des emplois. A court et moyen terme, une grande partie de ses effectifs sera au chômage technique.

Pour survivre à cette épreuve et affronter les défis qui s’annoncent, son tourisme devra être l’un des tous premiers à changer de visage. Fini la course aux volumes aux revenus faibles, aux dommages multiples du surtourisme qui dégrade l’environnement et dérangent les habitants.

Les exemples caricaturaux du tourisme de masse du Mont-Saint-Michel ou du tourisme de shopping dans les grands magasins nous le rappellent. Par sa diversité unique et son patrimoine exceptionnel, la France a les moyens d’inventer un nouveau modèle. Et elle n’aura guère d’autre choix.