*Par Christophe Euzet, Docteur en droit, Maître de conférences en droit public

 

Elle alimente de plus en plus régulièrement les discussions des salons politiques privés : la solution du retour au cumul des mandats. Qu’on se le dise, c’était mieux avant ! Si rien ne va plus dans notre beau pays, c’est simplement parce que les élus locaux ne peuvent plus cumuler leurs fonctions « territoriales » avec celles de député ou de sénateur… Tous les maux que nous connaissons résultent de cette folie douce qui a consisté à obliger les élus, locaux d’un côté, nationaux de l’autre, à se consacrer exclusivement au mandat pour lequel ils ont été élus

 

Comment, pourtant, peut-on croire un seul instant que la même personne puisse dans sa semaine (qui ne comporte jamais, pour le commun de mortels, qu’une durée de sept jours), comment peut-on croire une seule seconde qu’il soit possible à cette même personne de consacrer la même énergie à deux fonctions ou davantage ?

Peut-on, avec la même implication, être en même temps maire et député ?

Bien sûr, il y a sur ce terrain l’argument-massue : les élus nationaux, les Députés surtout, sont coupés du terrain ! Ah oui, c’est vrai, ils ne connaissent pas le pays dans lequel ils vivent. Seuls les élus de terrain comprennent la société dans laquelle ils évoluent. Ce raisonnement simpliste conduit, il suffit d’y réfléchir un instant, à ne concéder la compréhension des problèmes de société qu’aux seuls élus des territoires et à refuser à tous les autres citoyens la capacité à le faire… pourquoi pas, dans ce cas, réserver la représentation nationale aux seuls élus locaux ?

Excessif concèderont certains. Mais sans aller jusque-là, il faut convenir, argumenteront-ils, que seuls les élus des territoires peuvent mieux que tous les autres comprendre les problématiques locales. C’est vrai ! Eux seuls sont compétents pour comprendre et porter les difficultés des collectivités territoriales auprès des instances nationales. Et c’est précisément pour cela qu’il existe un Sénat : aux termes de l’article 24 de notre constitution, c’est d’ailleurs ce dernier qui « assure la représentation des collectivités territoriales de la République » !

Soyons réalistes : réduire les problèmes du pays à la question locale est réducteur, erroné et périlleux. Le « local » n’a pas la vision d’ensemble indispensable à un pays ; il ne perçoit pas ses intérêts supérieurs ; il n’a pas de boussole régalienne ; il n’a qu’une perception partielle et limitée géographiquement des équilibres sociaux, professionnels, associatifs, syndicaux et culturels du pays (et c’est pour cela, aussi, qu’il existe un Conseil économique, social et environnemental qu’il serait certainement bénéfique de fusionner avec le Sénat).

Le « local » ne mène pas davantage de politique publique économique, de politique migratoire, de politique judiciaire, éducative, européenne, diplomatique et/ou militaire. Et c’est précisément pour cette raison que l’Assemblée Nationale représente la Nation tout entière : parce qu’elle a à charge les intérêts supérieurs du pays et que cette mission ne saurait s’exercer à la marge d’un mandat local.

La démocratie actuelle manque-t-elle de souffle ? Est-elle asphyxiée par son manque d’ouverture à la société ? Certes. Et la recette miracle consisterait à rétablir la situation qui nous a précisément conduits dans cette impasse ? Non, car elle est bel et bien frelatée. Si l’on veut plus d’investissement des citoyens dans la vie publique, il faut libérer les places électives : en durcissant les interdictions relatives aux cumuls de mandats et en interdisant ce cumul dans le temps.

Donner un nouveau souffle, c’est laisser un peu courir les autres : il faut généraliser l’interdiction de plus de deux mandats (qui touche le Président de la République) à l’ensemble des fonctions électives. Et arrêter de faire passer des vessies pour des lanternes.

 

Christophe Euzet