(Vu sur la Toile)

 

Mort de Louis Mermaz, ancien président de l’Assemblée Nationale et proche de François Mitterrand
(Article de Par Michel Revol • Rédaction hebdomadaire Le Point)

 

Le Point.- François Mitterrand, qui avait le compliment rare, dit un jour à Louis Mermaz : « Vous êtes l’un des deux ou trois qui pourraient me succéder. Vous avez un visage sévère, mais Poincaré était comme ça. »

Louis Mermaz, dont la mort, à 92 ans (il était né à Paris le 20 août 1931), a été annoncée par plusieurs figures du PS ce 15 août 2024, ne fut jamais président de la République ni Premier ministre. Il fut de nombreuses fois ministre, et même un ministre très éphémère (trente-et-un jours aux Transports en 1981, puis à nouveau au même ministère en 1988 durant quarante jours). Mais cette fugacité s’explique par la justesse de la cause : en 1981, sitôt l’élection législative remportée par le PS, Louis Mermaz est élu à la tête d’une Assemblée nationale toute rose ; en 1988, c’est cette fois à la tête du groupe socialiste qu’il est catapulté.

Mermaz est l’homme idoine. Mitterrand lui fait confiance. Fidèle, mais pas courtisan, il est avec Pierre Joxe l’un des rares à tenir tête, parfois, au leader socialiste. En 1981, ils ne sont pas nombreux à pouvoir occuper le perchoir et tenir une assemblée en partie inexpérimentée ; en 1988, il faut un homme chevronné pour tenir en respect les troupes de Rocard dans l’Hémicycle, et tenter d’apaiser la guerre à laquelle se livrent Jospin et Fabius. Il y gagnera le surnom, au moins temporaire, de « Casque bleu ». Même ses adversaires louent la finesse d’un homme pourtant réputé sectaire. Lorsqu’il quitte le perchoir, en 1986, Jean-Claude Gaudin, qui lui succède, lui rend un bel hommage : « Vous êtes rentré partisan, vous êtes sorti président. »

« Petite foule de dévots »

 

Louis Mermaz rencontre l’homme de sa vie, François Mitterrand, en 1954. Au départ, ce n’est pas trop le coup de foudre. « Il était froid et distant, se souvient, en 2014, Louis Mermaz. Puis il s’est humanisé. L’affection est venue. Il aimait les gens qui savaient lui résister. » Rien ne semble plus l’excéder que cette cour qui entoure Mitterrand, cette « petite foule de dévots parmi lesquels il se déplaçait sans se commettre ». Le futur président de l’Assemblée suit pas à pas le futur président de la République.

Il est de tous ses combats, de tous ses coups politiques, de toutes ses désillusions, aussi. Les échecs sont surmontables pour l’agrégé d’histoire, qui disait : « La politique, c’est un combat qu’il faut inscrire dans le très long temps. » Il ne comprenait d’ailleurs pas cette tendance à vouloir raccourcir la carrière élective des hommes et femmes politiques. « Ceux qui disent qu’il faut réduire à deux ou trois les mandats sont des farfelus. Il faut du temps pour faire un homme politique. »

Sa carrière l’illustre. Il est pour la première fois candidat à l’Assemblée en 1956, dans l’Orne, sous l’étiquette UDSR (Union démocratique et socialiste de la résistance), aux côtés de François Mitterrand déjà. Une fois, deux fois, trois fois il échoue. Il migre vers l’Isère, plutôt changer de département que de convictions, se défend-il en substance, l’Orne étant très droitière, et gagne son premier siège de député en 1967, cette fois sous la bannière FGDS (Fédération de la gauche démocratique et socialiste), la petite machine de guerre de François Mitterrand, celle qui le conduira à ravir la tête du PS en 1971 avec Mermaz, toujours. Cette année est décidément heureuse pour le prof d’histoire : en mars, il gagne la mairie de Vienne, qu’il n’abandonnera que trente ans plus tard, presque jour pour jour.

 

Fils naturel de Louis de Chappedelaine

En ces presque cinquante années de carrière politique, Louis Mermaz n’a jamais varié. Socialiste il était, socialiste il restera. Socialiste, et non social-démocrate. C’est l’un des points d’achoppement avec François Mitterrand : Mermaz a combattu Rocard, mais sans jamais sous-estimer ses qualités. Il mettait en garde contre les dérives centristes de l’ex-Premier ministre. « Toute politique est compromise, mais trop de compromis mènent à droite. »

Même lorsqu’il passe au second plan de la scène politique nationale, son coeur bat bien à gauche. Après avoir en 2007 soutenu Ségolène Royal, dont il appréciait la « ténacité », il se range derrière Benoît Hamon dix ans plus tard. Le candidat socialiste s’écrase, mais Mermaz n’abdique pas. « Avec François Mitterrand, on a connu de nombreux échecs et on savait qu’on ?uvrait pour le long terme. C’est cet enthousiasme que les socialistes doivent retrouver. » Son combat n’a jamais molli. Au début des années 2000, il s’engage pour la défense des clandestins, en particulier pour améliorer leurs conditions de rétention dans les centres du même nom, qu’il baptise « l’horreur de la République ». En 2014, alors qu’il fait la promotion de ses Mémoires, il fustige encore et toujours le capitalisme, ce « système effréné » qui ne sera « pas plus éternel que ne l’a été l’esclavage pour les Grecs ».

Discret et affable, Louis Mermaz s’ouvre dans ses Mémoires (Il faut que je vous dise, éditions Odile Jacob). Il les écrit en se fondant sur son journal, qu’il tient depuis la mort accidentelle de son fils, en 1991 (son autre fils se suicide une dizaine d’années plus tard). Il confie aussi qu’il est le fils naturel de Louis de Chappedelaine, député de Dinan et plusieurs fois ministre de la IIIe République (Mermaz est le nom de sa mère). Les Mémoires, parues en 2014, ponctuent sa vie politique. « Quand on a terminé son temps, il ne faut pas jouer les utilités. »

(Source hebdomadaire Le Point)