(Vu sur la Toile)
Claude Montana, couturier français, est mort
(Article de Maud Gabrielson • Rédaction journal Le Monde)
Le Monde.- Ses créations façon amazones, aux coupes architecturées et à l’allure guerrière, intriguaient et détonnaient dans le paysage bourgeois de la mode française. Il est mort le 23 février à l’âge de 76 ans.
Il fut l’un des créateurs qui façonnèrent l’esthétique de la mode parisienne des années 1980. Claude Montana est mort le 23 février à l’âge de 76 ans. Sa vie, jalonnée de grands succès mais également de lourds échecs, d’addictions et de drames intimes, est aussi romanesque que tragique.
Né à Paris, le 29 juin 1947, d’un père espagnol et d’une mère allemande, Claude Montana – de son vrai nom Montamat –, se découvre très tôt une appétence pour l’apparat et les costumes.
Ses parents, bourgeois parisiens, ne voulaient pas entendre parler des aspirations de leur enfant. Alors, avec sa petite sœur, Jacqueline, il s’échappe en douce de l’appartement familial pour aller fureter à l’Opéra Garnier, humer l’odeur des costumes, découvrir l’art des drapés et des étoffes. A 16 ans, il devient ainsi figurant dans Don Carlos, de Verdi, sur les planches de l’Opéra de Paris, à l’insu de ses parents.
En 1967, le baccalauréat en poche, direction l’Angleterre et son Swinging London, qui bat son plein. C’est là qu’il s’essaye pour la première fois à la création, en confectionnant de petites séries de bijoux en papier mâché, avec du papier toilette et des strass. L’édition britannique du magazine Vogue le repère et publie ses créations en « une ». Le nom de Montana commence à circuler dans le petit cercle de la mode.
Fidèle au cuir
Il est de retour à Paris quelques années plus tard, et rejoint l’enseigne spécialisée dans le cuir Mac Douglas. C’est là qu’il se frotte à la coupe, aux patronages, à la création de vêtements. Le cuir restera sa matière privilégiée tout au long de sa carrière. « C’est celle dont je me sens le plus proche, celle par laquelle j’ai commencé. Et puis, ce n’est pas une matière anodine. Le cuir a une force, une rigidité, une puissance. Cela colle bien avec ma vision de la femme », confiait-il aux Inrocks, en 2010.
Sa vision de la femme ? Elle est en effet puissante et conquérante, et il la présente dès 1975 à travers un premier défilé de mode parisien : les épaules sont carrées et démesurées, les hanches sont soulignées, les tailles resserrées au maximum, les jambes sont allongées. Le cuir est partout, et les couleurs pétaradantes : jaune, mauve, rouge… L’allure Montana intrigue et détonne dans le paysage bourgeois de la mode française portée par l’élégance d’un Yves Saint Laurent, ou les inspirations multiculturelles de Kenzo Takada ou d’Issey Miyake.
Officiellement lancée en 1979, la marque Montana va alors dessiner les contours d’une mode façon amazone, qui en impose autant dans les coupes architecturées que dans l’allure guerrière. Il s’y attache aux côtés de quelques-uns, comme Thierry Mugler – qui sera un temps son colocataire avant de devenir son rival –, ou encore la créatrice Anne-Marie Beretta.
L’esprit haute couture de Claude Montana
Ivre de succès, Claude Montana cède alors aux sirènes de l’alcool, des drogues, des nuits passées au Palace aux côtés de sa clique. Il nourrit pourtant une créativité sans faille et propose, tout au long des années 1980, des collections désirables et modernes. La femme Montana, qui a toujours le cuir comme matière de prédilection, se drape dans des manteaux souples ou des vestes structurées, des pantalons aux jambes bouffantes et aux imprimés graphiques ou des robes à la taille toujours plus cintrée.
« Les échecs aussi sont nécessaires, ils vous empêchent de vous scléroser », confiait-il au Monde en mars 1984.
Ses défilés, tout au long de la décennie, sont de véritables spectacles vivants, courus du Tout-Paris. Un exercice qu’il redoute pourtant. « Le pire moment est avant le défilé. On n’a pas dormi du tout depuis deux jours. Je rentre chez moi pour prendre un bain, me raser. On vient me chercher en voiture pour me conduire au chapiteau [une tente dressée aux Tuileries]. C’est comme aller à l’abattoir. Le trajet est terrifiant. Ce mutisme. Je ne peux rien dire. J’essaie d’y croire et je ne sais plus rien. C’est la mort. Après, si ça s’est bien passé, on s’amuse. Sinon… On ne s’en rend pas compte tout de suite. Les signes arrivent peu à peu. On a mal. Les échecs aussi sont nécessaires, ils vous empêchent de vous scléroser », confiait-il au Monde en mars 1984.
En 1990, après avoir refusé une proposition de Dior, il rejoint la maison Lanvin pour y imaginer les collections haute couture, tout en conservant sa propre marque. Il remporte deux dés d’or consécutifs – l’équivalent des Oscars de la mode à l’époque – pour les lignes automne-hiver 1990-1991 et printemps-été 1991. Il quitte pourtant Lanvin après seulement deux collections, blessé par les mauvaises critiques de la presse spécialisée.
En 1993, il épouse son amie et muse de longue date, la mannequin américaine Wallis Franken. Cette union surprend, tant le couturier n’a jamais caché son homosexualité. Mais Wallis se suicide en 1996, en se jetant par la fenêtre du domicile conjugal de la rue de Lille. Un drame dont Montana ne se remettra jamais véritablement.
Retiré du monde
L’année suivante, il se déclare en faillite et se trouve dans l’obligation de céder sa marque. La maison est alors rachetée en 2000 par l’homme d’affaires Jean-Jacques Layani et change de nom pour Montana Création. Dès lors, Claude Montana se retire peu à peu du monde, ne sortant de son appartement parisien des abords du Palais-Royal qu’en de rares occasions.
Ses créations ont, quant à elles, perduré dans l’imaginaire collectif. L’allure Montana sera une source d’inspiration pour de nombreux créateurs des années 1990 et 2000, parmi lesquels Alexander McQueen, Olivier Theyskens ou Riccardo Tisci. En 2013, il réapparaît par la petite porte en signant trois silhouettes pour le défilé de son ami Eric Tibusch. « La mode me manque. Parce que, quand quelque chose est présent toute votre vie, ça devient une partie de vous. Tout cela me manque, comme le fait de tenir le tissu dans mes mains », déclare-t-il à cette occasion au magazine américain Vanity Fair. Il est nommé commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres en 2014.
En 2019, le créateur anglais Gareth Pugh lui rend hommage à travers une collection de 14 silhouettes imaginées pour le site de vente en ligne de luxe Farfetch, en collaboration avec Byronesque, site spécialisé dans la recherche de pièces d’archives pour les collectionneurs. Il expliquait alors : « Claude est une figure-culte, son influence est immense ».
(Source journal Le Monde)