(Vu sur la Toile)

 

 

La chanteuse Régine est morte
(Par Marc Fourny – Magazine Le Point)
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Le Point.- Elle a imposé sa gouaille, sa crinière rousse et son tempérament de feu dans le showbiz français en faisant fortune dans les boîtes de nuit. Régine tenait à la fois de la tenancière de cabaret et de la mère consolatrice, prête à recueillir les confidences des âmes perdues au coeur des nuits blanches. Elle a fréquenté Maria Callas, Maurice Chevalier, Charles Aznavour, rigolé avec Françoise Sagan, copiné avec Gainsbourg, chanté du Barbara, joué les boute-en-train avant de monter elle-même sur les planches avec ses plumes, sa bonne humeur et une énergie peu commune. Régine est morte à l’âge de 92 ans, a annoncé sa fille à l’Agence France-Presse.
Si elle a choisi la fête, c’est sans doute pour panser les plaies d’une enfance difficile. Des parents juifs polonais, un père bohème qui perd sa boulangerie au poker, une mère qui s’exile en Amérique du Sud, la guerre qui disperse le reste de la famille. Régina Zylberberg est séparée de son frère, trouve refuge à Lyon, tombe amoureuse le jour du Débarquement, se fiance dans la foulée avant que la Gestapo n’arrête son prétendant qui meurt en déportation. Après la guerre, la jeune femme rejoint le bar parisien du paternel : levée à 5 heures, elle sert les cafés crème tout en rêvant de célébrité. Elle n’a qu’une obsession, faire de sa vie un destin, devenir quelqu’un? et s’amuser en prime, si possible.

 

Barmaid et videuse
Elle se marie, divorce trois ans plus tard, écume les dancings, se fait des relations, dort de moins en moins, première sur la piste et dernière couchée, elle anime déjà comme personne les soirées, à tel point qu’on la surnomme la « toupie tournante ». Elle apprend vite, comprend les codes, découvre le formidable brassage social du monde de la nuit, sans barrière ni tabou, et commence sa carrière au Whisky à gogo, près du Palais-Royal, où elle est à la fois hôtesse, barmaid, disquaire et videuse. Les premières célébrités affluent, dont Françoise Sagan, qui l’appelle la « reine noire de nos nuits blanches » et baptise les lieux « Chez Régine ».

Le nom est tout trouvé, elle en fait son label et ouvre sa première boîte de nuit en 1956 rue du Four, à Saint-Germain-des-Prés, suivi plus tard par une trentaine d’autres clubs en France et dans le monde. Régine devient la souveraine des nuits parisiennes, n’ayant pas son pareil pour amuser la galerie et s’entourer de célébrités : Brigitte Bardot, Rudolph Noureev, Pompidou, politiques, romanciers et jet-setters, millionnaires ou fauchés, c’est le lieu où il faut aller s’encanailler pendant ces flamboyantes Trente Glorieuses.

En 1965, elle saute le pas et sort son premier disque, soutenue par Charles Aznavour, puis bientôt par son copain Serge Gainsbourg qui lui offre son premier grand succès en lui écrivant Les p’tits papiers. Mais c’est La Grande Zoa, interprétée avec son fameux boa plume, qui l’impose dans le milieu comme une chanteuse rigolote à la gouaille parisienne ; l’académie Charles-Cros la distingue en 1967.

 

Grande gueule
Régine est partout : dans ses clubs, sur scène et même au cinéma. On la verra notamment dans Mazel Tov de Claude Berri, Le Train de Pierre Granier-Deferre et Les Ripoux de Claude Zidi. Mariée à l’homme d’affaire Roger Choukroun, elle mène la vie qu’elle souhaitait, dirige un vrai business, sort des parfums, reprend des restaurants.

Dans les années 1990, la roue tourne. Régine essuie ses premiers revers, notamment avec l’aventure malheureuse du Palace, où elle laisse beaucoup de plumes. Elle est contrainte de fermer la boîte pour trafic d’ecstasy. Les dettes sont énormes, la femme d’affaires vend ses night-clubs, mais elle continue à organiser des soirées en s’appuyant sur son carnet d’adresses.

C’est l’époque où elle défraye également la chronique en se faisant arrêter en compagnie de son fils à bord d’un vol American Airlines pour avoir refusé d’éteindre une cigarette. La grande gueule ne manque pas non plus de coeur : elle fondera SOS drogue international pour venir en aide aux toxicomanes en situation d’exclusion.

Le temps ne l’assagit guère, au contraire. « Je n’ai peur de rien, confie-t-elle un jour à Paris Match. J’ai connu la guerre. La peur paralyse et il est impossible pour moi d’être paralysée. Je suis une survivante avec ce besoin viscéral d’être tout le temps en action. » À 75 ans, elle surprend tout le monde en acceptant de participer à La Ferme Célébrités, sur TF1, surjouant son personnage impossible, insultant tout le monde à la ronde. En réalité, elle souhaitait amuser son fils, le journaliste Lionel Rotcage, emporté par un cancer en 2006. Le drame de sa vie, une grande blessure jamais vraiment cicatrisée : « Il voulait que je sois une vraie mère, je ne l’ai pas été ».

À 86 ans, elle décroche à nouveau son boa pour une nouvelle tournée qui la conduit notamment sur la scène des Folies Bergère. La mort ? Même pas peur : « Je n’ai jamais imaginé que je vivrais aussi vieille », lançait-elle dans Paris Match dans les dernières années de sa vie. Et quand on lui parlait de retraite, ses yeux vous incendiaient sur place. « Les clubs de bridge avec des gens du 3e âge ? Non, merci, ça ne me fait pas rire ! ». Son seul grand regret était de voir les jeunes danser seuls en boîte de nuit, devant des DJ. « Mais ça ne durera pas? » assurait la grande prêtresse des nuits parisiennes.