Les premières victimes d’une crise économique sont généralement les TPE-PME. La crise de 2009 avait ainsi conduit au nombre élevé de plus de 60 000 défaillances d’entreprises. Mais le tissu des TPE-PME est hétérogène, et la crise révèle plus encore aujourd’hui l’immense diversité des entrepreneurs et entreprises, selon leur secteur d’activité, leur taille, leurs donneurs d’ordre, leur chaîne de valeur. Après les mesures d’urgence devra être engagée une politique de relance, qui prenne en compte cette diversité et qui s’appuie sur la grande capacité de résilience et de réactivité des PME, afin de préserver tout le potentiel de notre appareil productif.

 

Les premières victimes d’une crise économique sont généralement les TPEPME. La crise de 2009 avait ainsi conduit au nombre élevé de plus de 60 000 défaillances d’entreprises. Mais le tissu des TPE-PME est hétérogène, et la crise révèle plus encore aujourd’hui l’immense diversité des entrepreneurs et entreprises, selon leur secteur d’activité, leur taille, leurs donneurs d’ordre, leur chaîne de valeur. Après les mesures d’urgence devra être engagée une politique de relance, qui prenne en compte cette diversité et qui s’appuie sur la grande capacité de résilience et de réactivité des PME, afin de préserver tout le potentiel de notre appareil productif.

L’impact sur les différents secteurs de l’économie est d’ores et déjà considérable. L’industrie tourne à 50 % de son niveau normal, chaque secteur industriel étant touché diversement. Certaines activités ont totalement fermé pour cause d’effondrement des commandes, de problèmes logistiques, de manque de matières premières… Alors que d’autres secteurs, prioritaires pour la gestion de la crise, sont toujours en activité, de la santé à l’alimentation, en passant par les déchets ou la chimie.

(Terra Nova
8 avril 2020 | Par Michel Guilbaud, Ancien directeur général du Medef, associé fondateur du cabinet Batout Guilbaud)

Au sein d’un même secteur, certaines productions peuvent s’effondrer comme la sous-traitance automobile, alors que certaines activités comme l’emballage alimentaire, les masques ou les respirateurs peuvent accroître leur production.

Le BTP connaît une baisse de 85 % de ses chantiers. L’intérim chute de 75 %. Dans les services, certaines activités sont totalement arrêtées, par une interdiction liée au confinement  : hôtellerie-restauration, loisirs, spectacles, voyages. Le commerce alimentaire est très sollicité, alors que le commerce non alimentaire est à l’arrêt. Le transport est en chute alors que les services financiers sont très sollicités.

L’Insee a estimé, dans sa note de conjoncture du 26 mars, que l’activité tournait à 65 % de son niveau normal, très fortement impactée par les services, compte tenu de leur poids global dans la production nationale. La consommation des ménages diminuerait elle-même de 35 %. Les différents instituts de conjoncture estiment que la perte de croissance se situerait entre 2,5 et 3 points de PIB en 2020 pour un mois de confinement. La durée de la crise sanitaire sera à l’évidence un déterminant essentiel de l’ampleur de la crise économique et de la capacité de redémarrage. À titre de comparaison, la crise de 2009 a été marquée par une récession de – 2,9 %, et une chute des investissements de – 9 %. C’est dire l’ampleur de la crise que nous connaissons aujourd’hui, alors même qu’elle paraît plus limitée dans le temps.

À court terme, le gouvernement s’est inspiré de la gestion de la crise de 2009 pour déployer, à une vitesse inédite, un arsenal de mesures visant à sauvegarder la trésorerie des entreprises. Activité partielle, décalage de charges fiscales et sociales, garanties de prêt, aides directes pour les TPE… On le sait, l’effet le plus immédiat d’un tel choc économique – et la première cause de défaillance –, c’est un problème de trésorerie.

On l’oublie souvent, notre tissu d’entreprises est composé d’une immense majorité de TPE-PME. Sur les 3,6 millions d’entreprises que compte la France, environ 1 million ont au moins un salarié, 140 000 PME ont entre 10 et 250 salariés, alors qu’on ne compte que 6 000 ETI ou grandes entreprises.

La résilience de notre économie, c’est donc bien la capacité de chaque entrepreneur et de chaque entreprise de s’adapter au plus serré, en préservant au maximum sa trésorerie, mais aussi ses emplois. Car emplois riment avec compétences nécessaires pour garder tout le potentiel productif de l’entreprise.

Les chiffres de l’activité partielle sont saisissants : au 3 avril, 473 000 entreprises avaient demandé de recourir au chômage partiel pour 5 millions de salariés. Plusieurs milliers de demandes par minute ! Les demandes d’aide directe ou de prêts garantis auprès de BPI France sont considérables. C’est la responsabilité première du chef d’entreprise de « réduire la voilure pour affronter la tempête », tout en tentant de préserver les fondamentaux de l’activité.

Les boucles d’échanges WhatsApp entre entrepreneurs ont rarement été aussi actives que dans ce temps de crise, comme le rôle des organisations professionnelles. Échange de conseils pour sa relation avec la Direccte, pour comprendre les décisions publiques, pour gérer le passage au télétravail, pour organiser des conditions de travail adaptées, pour manager les salariés à distance, pour trouver des masques…

La crise du coronavirus révèle une nouvelle fois les diversités, voire les inégalités entre les différentes catégories de travailleurs. Cette épidémie dessinerait de nouvelles lignes de partage au sein du monde du travail entre télétravailleurs, actifs continuant d’occuper leur poste de travail sur site et personnes en chômage technique. Et l’on redécouvre aussi les nouveaux « héros ordinaires » de la période : celles et ceux qui, dans des activités apparues tout à coup essentielles alors qu’elles sont habituellement peu considérées, continuent à travailler mais dans des conditions pas toujours sécurisantes.

Cette situation va jusqu’à faire craindre à certains un réveil du mouvement des Gilets jaunes. Et de pointer le clivage entre les employés et ouvriers, les cols bleus, qui font tourner le pays, et les cols blancs en télétravail confinés à leur domicile, voire dans leur résidence secondaire.

Ce clivage existe entre les entreprises appelées à faire tourner le pays, celles qui peuvent organiser le télétravail et celles qui ont été obligées de s’arrêter.

Cette réalité du monde du travail est intimement vécue par les entrepreneurs, qui ont eux-mêmes été soumis à certaines injonctions contradictoires. Le secteur du bâtiment a symbolisé cette contradiction, entre l’exigence de stopper tout travail exposant les salariés à un risque sanitaire, et celle lui demandant de faire tourner l’économie. À tel point qu’il a fallu rappeler l’exigence de protection des salariés qui incombe aux chefs d’entreprise.

Le comportement responsable et citoyen, souvent marque de fabrique des PME dans leur territoire, devient pour beaucoup une évidence dans cette crise sanitaire  : reconversion de lignes de production pour produire du gel hydroalcoolique ou du savon, mobilisation d’entreprises du textile pour la fabrication de masques, don de RTT aux personnels soignants… Sans compter les initiatives locales envers leurs salariés, leurs partenaires, les établissements de santé de leur territoire, qui ne sont en général pas sous le feu des projecteurs.

Il sera bon d’en faire une lecture après la crise, alors que la responsabilité d’entreprise et la réponse aux attentes environnementales et sociétales seront très certainement des enjeux majeurs de l’après-crise. Les PME sont souvent elles-mêmes parties prenantes de chaînes de valeur avec des grands groupes donneurs d’ordre, des fournisseurs ou des clients internationaux, un marché a minimaeuropéen. Si la crise du coronavirus amène à s’interroger sur la viabilité à long terme de ces chaînes de valeur et leur compatibilité avec notre environnement et avec nos valeurs sociales, voire notre souveraineté dans certains domaines clés, on pourra s’en féliciter.

Paradoxalement, la phase de redémarrage peut être autant, voire plus dangereuse, pour certaines entreprises. Dans l’immédiat, serrer les boulons pour éviter le dépôt de bilan, en ajustant strictement (dans la mesure du possible) sa structure à son niveau d’activité ou de revenu, est un réflexe indispensable et malheureusement relativement simple. Mais la conséquence est une tension de trésorerie et un affaiblissement de la structure financière, voire humaine, de l’entreprise.

Redémarrer en étant ainsi affaibli peut être périlleux. À l’issue de la crise de 2008, le pic de défaillances d’entreprise a d’ailleurs été atteint alors que l’économie redémarrait.

Redémarrer suppose de reprendre la production, de refaire des stocks, de réactiver de nouveaux clients, d’initier de nouveaux projets, de reprendre les commandes auprès de fournisseurs, tout cela étant consommateur de cash. La dégradation du bilan rendra difficile l’octroi de nouveaux crédits, et les reports de charges fiscales et sociales obtenus en pleine crise devront être réglés.

Il faut aussi envisager que l’arrêt de la crise sanitaire ne soit pas instantané, mais progressif, avec des risques localisés de confinement, et des sorties de crise asynchrones selon les pays. Les chaînes d’approvisionnement ne pourront pas se réorganiser de manière instantanée et synchronisée dans toutes les zones du monde, et les pays qui en sortiront le plus tard risquent d’être désavantagés par rapport à leurs concurrents pour retrouver leurs parts de marché. Il est difficile d’anticiper où se situera la France à cet égard.

La première question clé sera celle de l’arrêt des mesures d’urgence. S’il faut, à nouveau, saluer l’ampleur et la rapidité des mesures du gouvernement, les estimations budgétaires n’ont pris en compte à ce stade qu’un mois de confinement. Or, il faudra conserver un éventail de soutiens de court terme et une souplesse, par exemple dans les échéanciers de règlement des charges fiscales et sociales. Voire envisager des annulations pures et simples de charges pour certaines entreprises particulièrement impactées.

Au-delà, il faudra concevoir des dispositifs de relance permettant d’accompagner cette reprise d’activité dans les entreprises et de reconstituer leurs bilans. Certes, la situation budgétaire des États sera dégradée. Rappelons à quel point les « coups de bambou » budgétaires de 2011 et 2012 ont empêché la reprise en France. Il faudra trouver d’autres voies que les hausses d’impôts pour une sortie de crise dynamique.

Le gouvernement avait posé l’ambition de construire un pacte productif visant le plein emploi et la décarbonation de notre industrie. La première tentation pourrait être de donner un coup d’arrêt à ce projet, faute de moyens budgétaires. A contrario, si l’on veut provoquer une reprise dynamique et durable, et répondre aux exigences sociétales exprimées pendant la crise, il faut au contraire renforcer encore l’ambition de ce pacte et dessiner avec les entreprises des domaines d’investissement d’avenir.

Les régions ont déjà affiché leur volonté de construire un nouveau modèle industriel dans les territoires. Les TPE-PME en seront les forces vives si l’on sait se tourner vers leurs capacités d’innovation et de développement. Si l’on sait s’appuyer sur leur agilité, en somme si l’on fait confiance à leur résilience.