(Vu sur la Toile)
Qui de l’ours ou de l’homme doit quitter les Pyrénées ?
(Article de Par Jean-Paul Pelras* • Rédaction magazine Le Point)
Le Point.- « Au secours ! Un ours est en train de me manger ! » Cette phrase est le titre d’un livre écrit par Mykle Hansen et publié en 2014. Est-ce qui est arrivé à un chasseur ariégeois le 20 novembre 2021 près du Rocher de l’Aigle, à quelque 1 300 mètres d’altitude. Lors d’une battue au sanglier, l’homme s’est retrouvé nez à nez avec une ourse et ses deux petits. Situation attendrissante et redoutable à la fois, car le plantigrade, sentant sans doute ses petits menacés, aurait attaqué celui qui finira à l’hôpital évacué en urgence par hélicoptère.
L’octogénaire a expliqué : « Elle m’a attrapé la cuisse gauche, j’ai paniqué et j’ai tiré un coup de carabine. Elle a reculé en grognant, elle m’a contourné et m’a mordu le mollet droit, je suis tombé, elle me bouffait la jambe, j’ai réarmé ma carabine et j’ai tiré. Elle est morte cinq mètres plus bas. » Impressionnant ! Le genre de récit que l’on croit uniquement réservé aux films tournés dans le Grand Nord-Américain ou dans les montagnes du Caucase.
Le chasseur poursuivi pour « chasse dans une zone interdite »
Mais revenons au livre de Mykle Hansen et à cet extrait : « Vous pensez que vous avez des problèmes ? Moi, je suis en train de me faire dévorer par un ours ! [?] Et vous vous inquiétez pour l’environnement ? Tiens donc ! Votre environnement vient juste de me bouffer un pied ! Je pisse mon sang sur votre environnement. » Ou comment de la fiction à la réalité en passant par la satire où l’auteur se demande si l’ours n’est pas en train de devenir l’avenir de l’homme, il n’y a qu’une empreinte. Une empreinte et un procès où comparaissait, le 18 mars dernier, le chasseur attaqué ainsi que quinze autres personnes pratiquant une activité cynégétique.
L’Ariégeois était jugé pour « chasse dans une zone interdite » et « destruction d’espèce protégée ». Avec, pour lui rappeler ses devoirs, pas moins de dix-neuf associations présentes au tribunal de Foix qui se sont portées partie civile.
Voilà pour les faits. Abordons à présent les opinions. Avec, d’un côté, les environnementalistes qui dénoncent la mort de l’ourse Caramelles au cours d’une chasse jugée illégale et, de l’autre, la Fédération de chasse qui, par la voix de son président, a déclaré : « Un ours est mort, un homme est vivant. C’est triste, mais je préfère que ce soit ça que l’inverse. »
Posons le problème autrement et imaginons que, à la place du chasseur, il s’agisse d’un ramasseur de champignons ou d’un randonneur non armé qui n’aurait pas pu, de facto, neutraliser l’animal. À moins de savoir murmurer à l’oreille de l’ours pour lui expliquer qu’il n’avait aucune intention de s’en prendre à ses petits, le quidam en question risquait, vous en conviendrez, de finir en charpie.
Autre alternative, un chasseur témoin de la scène propose d’intervenir. Que fait le randonneur ? Il décline l’offre et se laisse tranquillement déchiqueter ou accepte la providence qui, pour cette occurrence, se présente sous la forme d’un coup de fusil. Évidemment, considérant la situation, la réponse semble être toute trouvée !
Mais il n’en demeure pas moins une cohabitation difficile entre l’ours et les activités humaines, qu’elles soient pastorales, touristiques, économiques cynégétiques.
En Italie, voilà bientôt deux ans, un randonneur fut tué par un plantigrade à moins de 300 mètres de son village sur une piste forestière.
En Roumanie, quatorze personnes décèdent chaque année après avoir été attaquées par un ours. En France, un rapport de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable publié fin 2023 estimait que la population ursine pourrait atteindre 350 individus d’ici à 2030, contre environ une centaine actuellement dans les Pyrénées.
Les Pyrénées où les éleveurs redoutent la présence de l’ours pour leurs troupeaux malgré les dispositifs mis en place par l’État à hauteur de 4,5 millions d’€uros prévus pour 2025.
Comment assurer la protection de l’homme ?
Faut-il vraiment réintroduire l’ours dans les espaces naturels français ? Si oui, comment assurer la protection de l’homme et celle des troupeaux ? Deux alternatives : soit il faut totalement interdire l’accès à certains périmètres, ce qui nécessiterait une partition physique du territoire et ne serait acceptable ni pour les usagers de la nature ni pour les éleveurs. Soit il faut protéger ces mêmes périmètres, ce qui sous-entend une protection rapprochée et armée de ces mêmes usagers, sachant que les premiers arpentent la montagne pour leurs loisirs, alors que les seconds y pratiquent une activité professionnelle sédentaire aussi ancienne que l’histoire du pastoralisme.
L’équation, depuis que l’écologie politique, dans les années 1990, a décidé de réintégrer des ours de Slovénie dans les Pyrénées, n’en finit pas d’être insoluble. Et la crainte, à l’aune des drames et des affrontements qui font l’actualité entre pro et anti-ours, est régulièrement réactivée.
Seule certitude, au bout du compte, personne n’est tranquille, ni l’animal défendant ses petits ni ceux qui redoutent sa présence sur les sentiers, dans les forêts, près des bergeries.
Alors, dans les Pyrénées, qui de l’ours ou de l’homme doit s’en aller ? De toute évidence, seuls ceux qui ont un jour croisé le premier de très près sont vraiment habilités à s’exprimer !
(Source : Le Point)
*Ancien syndicaliste agricole, Jean-Paul Pelras, journaliste et auteur de plusieurs ouvrages, vient de publier Le Sacrifice paysan ? Dans 20 ans, les agriculteurs français auront disparu, aux éditions Erick Bonnier.