(Vu sur la Toile)
« Mesures insuffisantes, politiques hors-sol » … La gauche espagnole rattrapée par la crise du pouvoir d’achat
(Article de Jean-Loup Delmas • Rédaction journal 20 Minutes)
Après la débâcle aux élections locales en Espagne, la gauche au pouvoir a convoqué des élections générales anticipées. Un choix surprenant, qui ne sera pas forcément payant au vu de l’impopularité du Parti socialiste
Rédaction du journal 20 Minutes.- Après la débâcle aux élections locales en Espagne, la gauche au pouvoir a convoqué des élections générales anticipées. Un choix surprenant, qui ne sera pas forcément payant au vu de l’impopularité du Parti socialiste.
A Barcelone, on est plus fier de l’excentricité des réalisations de Gaudi que du plan en damier d’Ildefons Cerdà. Entre la déraison de la Sagrada Familia, des sculptures du parc Güell ou des maisons-musées de l’artiste et la routine des habitations rangées en d’éternels carrés, on a vite choisi. A ces incongruités qui font l’identité de la ville, s’est ajouté récemment un autre grain de folie, cette fois politique. Le socialiste Jaume Collboni a remporté l’élection municipale, après avoir fini deuxième des votes derrière l’indépendantiste de droite Xavier Trias. Le tout grâce à une improbable alliance entre son parti socialiste (PSOE), le parti de droite (PP), pourtant grand « rival » des élections, et le soutien de la maire sortante, de gauche radicale.
Au Parti socialiste, on ne crache pas sur la conquête de la deuxième ville d’Espagne, une sacrée prise électorale. Mais côté face, y parvenir avec une alliance aussi contre-nature qu’excentrique montre bien les difficultés de la gauche à convaincre alors que la crise économique a pris toute la lumière politique en Espagne.
Débâcle du parti socialiste espagnol
Dans un énième renversement dont le milieu politique a le secret, Pedro Sánchez a convoqué des élections générales anticipées le 23 juillet, elles qui devaient normalement se tenir en fin d’année.
Le but ? Rebondir rapidement après la catastrophe du dernier week-end de mai. Les élections locales – municipales et régionales – y ont vu la déroute du PSOE, au pouvoir depuis cinq ans. Sur les dix régions qu’il contrôlait, au moins partiellement, six ont viré à droite. Exception faite de Barcelone, donc, la plupart des grandes villes – Madrid, Valence, Palma, Saragosse, Malaga – sont entre les mains des conservateurs.
Si l’ampleur de la débâcle surprend, « la défaite en elle-même était prévisible », indique Antoine de Laporte, expert associé à la fondation Jean-Jaurès et spécialiste de la politique espagnole. Car le gouvernement de Pedro Sánchez, Premier ministre plus que jamais sur la sellette, paie un bilan jugé insuffisant.
De loin, même nous Français, réputés pour notre insatisfaction permanente, pourrions trouver les Espagnols bien sévères. Une inflation divisée par trois en moins d’un an, une hausse du salaire minimum de 8 % – et de 47 % sur les cinq dernières années -, un chômage au plus bas depuis 2008, le PIB qui a enfin retrouvé son niveau d’avant-COVID… Pas mal, non ? Mais il suffit de traverser les Pyrénées pour se rendre compte de la vraie nature de l’échec de Pedro Sánchez et des siens. Le problème n’est pas tant l’absence de résultats, mais que ces derniers « ne se ressentent pas au quotidien », poursuit Antoine de Laporte.
Près des chiffres, loin du cœur
Pour prendre le pouls et l’humeur d’une ville, rien ne vaut le marché central. Ca tombe bien, à Barcelone, c’est une institution : La Boqueria et ses 15 000 stands de mille et une bouffes. Pour ne pas étouffer au milieu de la foule qui déambule dans les artères du Mercado, on finit toujours par trouver une chaise, le temps de partager un tapas et un avis sur les « gens d’en haut ».
Ander décortique ses crevettes comme la politique espagnole, et revient point par point sur le bilan du PSOE.
Le chômage ? Au plus bas depuis 2008, certes, mais encore à 13 %, et deux fois supérieur à la moyenne de l’Union Européenne. « Particulièrement chez les jeunes », note ce diplômé de 24 ans. Lui a réussi à trouver du travail dans la vente – « juste un temps, j’espère » -, mais un tiers de sa promotion erre encore à la recherche d’un job.
Le salaire minimum ? Rehaussé, certes, mais toujours inférieur à 1 100 euros brut par mois, faiblard pour vivre.
Le coût de la vie justement ? L’inflation a été ramenée à 3,2 % en mai, certes, mais elle assèche encore le porte-monnaie des Espagnols. Les prix alimentaires sont toujours à 12 % d’augmentation sur un an.
Des mesures « soit insuffisantes, soit inefficaces, soit les deux »
Vous commencez à saisir le problème ? Antoine de Laporte, un peu moins véhément qu’Ander, estime que « les mesures mises en place sont objectivement bonnes. Mais elles n’ont pas encore eu le temps d’infuser et de faire effet ». Il en va de même pour l’accord historique sur les salaires – patronat et syndicats ont convenu en avril d’une hausse de 10 % en trois ans. Trop tard pour compter dans la campagne.
En Espagne, on n’a pas toujours la même patience qu’avec les travaux de la Sagrada Familia. Si les mesures mettent tant de temps à faire effet, c’est qu’elles sont « soit insuffisantes, soit inefficaces, soit les deux », tranche Paula, qui travaille à l’un des stands de la Boqueria. Un décalage amplifié par l’autosatisfaction affichée par le gouvernement. « Les politiques sont hors-sol. Ils se sont tant congratulés de supprimer la TVA pour les produits alimentaires essentiels. Dans l’idée, c’est bien. Mais ça a servi à quoi ? », peste la quadragénaire. Selon l’Institut national des statistiques, la mesure a empêché les prix alimentaires de dépasser 18 % d’inflation. Mais ils ont tout de même augmenté de plus de 15 % sur un an en janvier, février et mars. « Pas de quoi fanfaronner » donc, selon la commerçante.
Baisser les impôts, l’axe de la droite pour séduire
Avoir anticiper les élections devrait donc probablement être insuffisant pour inverser la tendance. « Le parti populaire (PP, la droite espagnole) est ultra-favori » pour rafler la mise, pronostique Antoine De Laporte. Sa solution face aux maux espagnols ? « Baisser les impôts. Une mesure populiste mais qui semble efficace aux yeux de la population pour augmenter le pouvoir d’achat », plaide l’expert.
Et tant pis pour l’ambivalence d’un pays où plusieurs centaines de milliers de personnes manifestaient encore en février pour sauver le système de santé publique. « On en a marre d’étouffer financièrement et de compter nos sous dès la moitié du mois », décrit Paula, bien décidé à voter à droite fin juillet. « En plus, ils ont Alberto Núñez Feijóo… »
Alberto Nuñez Feijóo, héros de la Galice et homme providentiel espagnol ?
Politique le plus apprécié d’Espagne, selon la majorité des sondages, le président du PP a fait ses armes et sa réputation en Galice – élu président du gouvernement régional quatre fois de suite avec la majorité absolue. Depuis Saint-Jacques-de-Compostelle, il est attendu par une bonne partie du pays comme le sauveur censé sortir l’Espagne de ses multiples crises. En avril 2022, il a embrassé son destin national en étant élu à la présidence de son parti, avec 98,35 % de vote favorable et la ferme intention de devenir Premier ministre.
Antoine de Laporte décrit un homme « qui a su se donner une image de modéré, qui préférerait le pragmatisme à la défense mordicus des valeurs de la droite. Il est libéral juste ce qu’il faut, conservateur mais pas trop, et a réussi avec ce côté plus consensuel le retour au bercail de l’électorat centriste. »
La non-campagne
Après la claque historique des élections locales, et à l’orée d’un autre scrutin décisif, rien n’indique, dans les artères de Barcelone, que le pays connaît une année politique d’une telle ampleur. Pas d’affiches de campagne, pas de débat enflammé dans les bodegas et aucune émulation si caractéristique des pays latins. La droite est tellement sûre de son autoroute électorale qu’elle a opté pour la « campagne la plus minimaliste possible afin d’éviter toute gaffe », poursuit l’expert. Pour le PP, le plan est simple : se contenter de regarder la gauche s’effondrer sous le poids des crises que l’Espagne aura traversé durant son règne quinquennal : le Covid-19, la guerre en Ukraine et l’inflation.
A la plage de Barcelone, la vie suit simplement son cours. « On votera pour le PP en juillet et basta », défend Adrian, plus préoccupé par son match de beach-volley. Ici, on pense au vote comme à sa prochaine liste de courses, de manière évasive. Des pâtes, du jambon, des tomates cerises, voter contre le parti socialiste et ne pas oublier le liquide pour le lave-vaisselle.
Mais attention à la bête blessée. Antoine de Laporte le sait : « Pedro Sánchez n’est jamais si fort qu’au pied du mur ». Le PSOE n’a pas dit son dernier mot et est passé en mode bulldozer contre la droite, critiquant ses mesures et ses bilans précédents. Conséquence : un « léger frémissement dans les sondages », constate Antoine de Laporte. Certes, l’écart est encore grand dans les intentions de vote, et il reste peu de temps pour refaire le retard. Mais dans la ville où le Barça a infligé la remontada au PSG, on n’est jamais totalement à l’abri d’un retournement de situation.
(@Jean-Loup Delmas pour 20 Minutes)