A peine “sorti” du énième procès Colonna (dans l’affaire de l’assassinat le 6 février 1998 à Ajaccio du préfet de Corse Claude Erignac, son prédécesseur en poste), devant la cour d’Assises spéciale de Paris – dans lequel il était appelé à la barre en qualité de témoin… et dont son témoignage et les dernières révélations qui suivirent ont bien failli faire basculer ce procès – Bernard Bonnet, ex-préfet des Pyrénées-Orientales (1993-98), assure maintenant la promotion de son dernier livre : “Colonna, les silences du doute”, paru aux éditions l’Archipel.
Depuis l’affaire de la paillotte “Chez Francis”, incendiée “sur son ordre” le 20 avril 1999, alors qu’il était donc préfet de Corse depuis février 1998 (dans la foulée de l’assassinat de son prédécesseur, Claude Erignac), et qui lui valut une condamnation à l’issue d’une longue bataille judiciaire (mais dont les magistrats du continent renonceront à lui faire exécuter…), l’ex-préfet Bernard Bonnet n’a eu de cesse de faire entendre sa vérité, notamment dans ses livres : “Préfet en Corse” (Michel Lafon, 1999) ; “A vous de juger” (Flammarion, 2001) ; et “Le Sang et le Pilori” (L’Archipel, 2005).
Aujourd’hui, avec son nouveau livre – “Colonna, les silences du doute” ; sous-titré “Assassinat du préfet Erignac, un témoin capital s’exprime” – Bernard Bonnet, dans les pages 41 à 43, revient notamment sur une affaire qui défraya localement la chronique, “l’affaire du Mas Querubi”, alors propriété de Roland Nabet, entre autre ancien patron de l’antenne NRJ à Perpignan.
On peut y lire…
– “Comme des feuilles au vent d’automne, mes tribulations judiciaires continuent à frémir dans ma mémoire… Il y a cette affaire inouïe, scandaleuse, de Castelnou, petite commune des Pyrénées-Orientales. Je me souviens de ce 21 juin 1999. La matinée est superbe. Il y a comme un air de liberté au 42 rue de la Santé. J’achève ma promenade dans une courette de l’immeuble dont je suis l’infortuné locataire depuis quelques semaines. Un gardien m’informe qu’un juge de Perpignan m’attend dans un bureau à l’entrée de la prison. Ce magistrat m’a adressé quelques jours auparavant une lettre m’annonçant son intention de m’entendre comme témoin. Le motif est une prise illégale d’intérêts dans un dossier qu’il instruit, concernant la commune de Castelnou. Je serais censé avoir été informé de cette affaire quand j’étais préfet des Pyrénées-Orientales. Je suis un peu étonné de ce transport de justice de Perpignan à la prison de la Santé pour m’entendre comme simple témoin. A peine assis, en présence du procureur de la République de Perpignan qui s’est aussi déplacé, le juge d’instruction me notifie ma mise en examen. Je ne suis plus simple témoin. Je ne comprends pas. Il refuse de me dire ce qui m’est reproché. Il prend contact avec mon avocat. Ce dernier étant absent de Paris, le magistrat me retient pendant près de deux heures, prenant le temps de se débattre avec son ordinateur portable. Après plusieurs tentatives infructueuses, il joint enfin mon conseil au téléphone et lui annonce que je suis mis en examen pour complicité de prise illégale d’intérêts, sans lui en dire davantage. Toute la journée, télévision et radio martèlent que je suis mis en examen pour un détournement de fonds que j’aurais commis en qualité de préfet à Perpignan. Bigre ! Après la paillote, la délinquance financière : cela aurait fait de moi, en moins de deux mois, un délinquant récidiviste. Est-ce l’effet du soleil catalan ou la fièvre de la contagion de l’affaire des paillotes ? Le juge de Perpignan vient de m’impliquer publiquement dans un mirage judiciaire. Sûr de son affaire, et plus encore de son impact médiatique, le magistrat signe le 10 septembre 2002 une ordonnance me renvoyant devant le tribunal correctionnel de Perpignan. Il veut que je comparaisse dans la ville où j’ai été préfet. Perpignan, après Ajaccio, c’est une obsession. Elle ne me parait pas très saine. Ce n’est plus la justice, c’est le monde de Didi, le sympathique personnage du Lotus Bleu qui explique à Tintin : “Je vais vous couper la tête ! Alors, vous aussi, vous connaîtrez la vérité…”.
En parcourant l’ordonnance, je suis partagé entre surprise et fou rire. Quel délit me reproche le juge d’instruction catalan, qui avait tant mobilisé les médias quelques années plus tôt ? Simplement d’avoir été l’un des acteurs d’un contentieux “pagnolesque” de chemin communal. Un différend relatif à un chemin rural traversant une hostellerie privée, le Mas Querubi, opposait le propriétaire au maire de Castelnou. Ce dernier accepte de consentir au libre usage de ce chemin pour les clients de l’hôtel. Il suggère une contrepartie. Le propriétaire du Mas Querubi doit renoncer à acquérir un autre terrain, le Mas Linas, que le maire convoite aussi et que la SAFER doit attribuer. Péripéties furieusement locales. Le juge d’instruction me reproche d’avoir transmis à la SAFER l’intervention restée sans suite du cabinet d’un ministre. Ce que les médias ont baptisé détournement de fonds publics ! Le procureur de la République de Perpignan, confondu par l’inconsistance de l’accusation, ne s’en laisse pas conter et, pour remettre son collègue à sa place, fait appel de l’ordonnance du juge. Les illusions du juge d’instruction sont brutalement dissipées. La cour d’appel de Montpellier prononce un non-lieu le 13 février 2003, dans un silence médiatique impressionnant. Le sel de cette affaire est contenu dans les attendus de l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier, dans lequel l’humour des magistrats accompagne la rigueur de l’analyse. Du grand art ! La cour affirme dans son arrêt : Qu’elle constate, sans porter de jugement de valeur, que, de façon très répandue et très ancienne, des citoyens s’adressent à des hommes politiques en leur demandant d’intervenir en leur faveur ; que le plus souvent le rôle de l’homme politique se limite à transmettre à qui de droit la demande d’intervention, et à s’en attribuer éventuellement la réussite, lorsqu’elle advient ; que cette pratique est si répandue que parmi les attributions officielles du chef de cabinet d’un ministre figure celle de “proposer les réponses aux interventions et sollicitations” ; qu’il est classique que des interventions d’hommes politiques soient transmises par le truchement des préfectures ; que la participation à une intervention n’est pas en soi une infraction pénale ; que le préfet Bonnet s’est contenté d’adresser au cabinet du garde des Sceaux de l’époque deux rapports administratifs des 5 et 25 octobre 1995 exposant objectivement les problèmes opposant les divers intervenants et qu’il s’est limité ensuite à transmettre sans commentaire un courrier de rejet du directeur de la SAFER ; qu’il est pour le moins paradoxal et excessif que le préfet Bonnet ait été mis en examen comme complice d’une prise illégale d’intérêts du maire de Castelnou, alors qu’il est patent qu’il entretenait d’excellents rapports non avec le maire, mais avec son adversaire.
Je cite aussi avec gourmandise cette charge finale qui s’adresse au journalisme de meute : La cour observe que plusieurs mis en examen et notamment le préfet Bonnet pourraient se plaindre de l’impact négatif de nombreux médias embouchant – sans réflexion ni analyse préalable – les trompettes d’une mauvaise renommée.
Après ce ridicule intermède catalan, un autre mécompte va m’affecter davantage. C’est le refus des magistrats de la cour d’assises de Paris, en juillet 2003, de m’entendre comme témoin au premier procès des assassins de Claude Erignac. J’en ai été choqué, surtout qu’à l’issue du procès certains des assassins condamnés m’ont accusé d’être à l’origine de leurs malheurs (…)”.