(Vu sur la Toile)

 

Brigitte Bardot (Capture d’écran BFMTV).

 

 

Brigitte Bardot, l’icône du cinéma français, est morte à 91 ans
(Par Armelle Héliot – Rédaction journal Le Figaro)

 

Le Figaro.- La plus belle femme du XXe siècle avait eu le courage d’affronter le temps et ses blessures. Elle avait quitté le cinéma il y a près de cinquante ans et depuis avait consacré toute son énergie à la défense des animaux.

Bardot ! La Bardot ! Brigitte Bardot ! Qui prétendra qu’il y eut femme plus belle qu’elle au XXe siècle ? Femme plus sensuelle, plus rayonnante, femme à la démarche de sylphide – la danse classique lui avait donné une aristocratique silhouette -, femme au corps idéal, tout en courbes et déliés voluptueux, femme au port de reine, femme magnétique réveillant d’instinct hommes comme femmes – car les femmes aimaient Brigitte Bardot et des générations l’imitèrent. Femme enfant avec son minois de chat – à la fin de sa vie, elle ressemblait à un très beau persan, visage large, nez court, regard pénétrant -, femme irrésistible avec sa moue boudeuse et son éclat de rire malicieux. Femme de rêve qui fit chavirer bien des hommes de Roger Vadim à Serge Gainsbourg en passant par Jean-Louis Trintignant, Sami Frey, Jacques Charrier, Günter Sachs, tant d’autres. Jusqu’au moment où elle trouva le calme d’une vie loin des flashs ou des caméras auprès de Bernard d’Ormale qu’elle épousa en 1992. Heureuse avec des moments de doute, jusqu’aux crises et au désespoir. Mais vaillante, battante, pugnace et hyper­active dans la défense de la cause animale. Elle est alors infatigable et d’un courage jamais en défaut.

Brigitte Bardot avait quitté le cinéma en 1973. En 2010, une exposition d’une grande ampleur lui avait été consacrée au Musée des années trente à Boulogne-Billancourt. N’en déplaise aux grincheux qui déversèrent des sarcasmes sans même avoir franchi le seuil des salles, cette manifestation montée par Henry-Jean Servat et Tristan Duval dut être prolongée et attira non seulement les nostalgiques de sa génération, mais toute une foule de jeunes gens et de jeunes filles approchant enfin cette légende dans la rayonnante splendeur de sa beauté et dans l’énergie de ses engagements. Car les sections consacrées à sa lutte contre le massacre des bébés phoques comme à la Fondation pour les animaux furent parmi les plus fréquentées.

 

 

Actrice retraitée à moins de quarante ans avec quarante-six films

 

C’est forte d’une filmographie très intéressante qu’elle avait fermé sans regret le chapitre «cinéma» de sa vie. Elle tournait Colinot Trousse-Chemise sous la direction de Nina Companeez. Turban sur la tête, elle avait accueilli son agent, sa marraine attentive, Olga Horstig, et lui avait dit : «Qu’est-ce que je fais là avec ce machin sur la tête ? Je suis ridicule. Je ne tournerai plus.»

Et plus jamais elle ne refit du cinéma. On était donc en 1973 et elle avait tourné quarante-six films. Elle n’avait pas quarante ans…

Il fallut des années pour évaluer à sa juste mesure ce chemin et comprendre la particularité de son jeu. Dans les années 1970, malgré son parcours, il était encore de bon ton de moquer son jeu, sa voix traînante, sa candeur. Elle s’en moquait comme d’une guigne. Elle avait entamé une carrière de chanteuse après son torride 68 passé à la Maison des arts, sur les quais de la Seine à Paris, avec son amoureux et Pygmalion d’alors, Serge Gainsbourg.

Celle qui n’avait pas craint de jouer dans un film intitulé Une ravissante idiote savait, elle, où elle allait. Elle n’avait pas conscience de ce qu’elle laisserait dans l’histoire du cinéma. Elle y était tombée toute petite, au fond, et n’y avait pas été franchement heureuse. Libre, elle se moquait pas mal de ce que l’on pouvait dire d’elle. Sans doute se souvenait-elle, et cela lui suffisait, du regard de Jean Anouilh couvant la jeune première de L’Invitation au château, la seule escapade de Brigitte Bardot sur les planches.

 

Une beauté sidérante à l’influence extraordinaire

 

Belle, belle, c’est tout simplement d’abord parce qu’elle était d’une beauté sidérante que Brigitte Bardot a exercé, au cÅ“ur de la société française, et du monde, une influence extraordinaire. Malgré elle souvent, mais aussi en toute conscience parfois. Dans l’avant-propos du livre que lui avait consacré Henry-Jean Servat au moment de l’exposition, Brigitte Bardot : la légende (Éd. Hors Collection), elle écrivait : « Portée par un courant que je n’ai pas maîtrisé, ma vie a basculé bousculant tout ce qui fut mon enfance et mon éducation. » Ce courant, c’est celui d’une époque. Elle n’est pas venue trop tard dans un monde trop vieux. C’est comme si on l’avait attendue et que, dès les premières couvertures des Veillées ou d’Elle, quelque chose avait frappé chacun : elle n’était pas comme les autres. Elle irradiait. Elle dégageait. La danse avait exalté son allure de déesse, son port de reine. Elle avait dès ce moment-là un sourire éclaboussant, un visage plein et des lèvres sensuelles. Belle, mais pas seulement.

Née le 28 septembre 1934, elle grandit dans une famille bourgeoise des beaux quartiers : très bien élevée, Brigitte Bardot. Il faut se replacer dans l’époque. Avant guerre, à un moment où les femmes se libèrent un peu – «les Garçonnes», la mode souple – mais où elles demeurent pour l’essentiel soumises au destin, d’ailleurs le plus souvent heureux, de se marier et d’avoir des enfants. Chez les Bardot, l’éducation est sévère. Et les deux filles, Brigitte et sa sÅ“ur Mijanou, sont soumises à rudes punitions dès qu’elles font une bêtise. En même temps, ces parents, pour bourgeois soient-ils, aiment le monde du spectacle et le fréquentent. Papa Pilou, industriel, taquine la muse et sa mère rêve d’ouvrir une maison de couture. Brigitte présente les modèles. Cette maman a pour amie Hélène Gordon-Lazareff. C’est cette dernière qui sera déterminante dans le chemin que va prendre la jolie Brigitte, par-delà les défilés de mode «maison» !

Elle a les cheveux châtains. Elle fait de la danse. Une des plus jolies photographies de la jeune Bardot la représente en jeune danseuse, entre opéra et cabaret… loin du petit rat dont existent aussi des images. Et bientôt, tout naturellement, des photos de mode.

Son père, quelques années plus tard à peine, voulut faire interdire les affiches de Manina, la fille sans voiles… film qu’elle tourna dès 1952, la même année que le charmant Trou normand de Jean Boyer avec Bourvil ! D’un côté, une gentille petite fille, de l’autre, une pin-up en Bikini blanc ! Apocalypse des bonnes familles. Mais au fond, les Bardot sont, eux aussi, autant que B.B., représentatifs d’une évolution de la société française, dans les années 1950. Et c’est en famille qu’elle passe ses vacances à Saint-Tropez. Le village est encore celui de Colette et non celui de la jet-set.

«Portée par un courant», contrariée par une époque, aussi. Quand on revoit le scandale que put faire cette aimable chronique qu’est Et Dieu… créa la femme (1956) avec Vadim, son premier mari et son premier Pygmalion, on ne peut s’interdire de penser à l’impact de Bonjour tristesse de Françoise Sagan, deux ans plus tôt.

Mais Bardot n’est pas seulement une beauté que l’on dénude – et puis, elle n’est pas la première ! N’oublions pas, par exemple, Edwige Feuillère dans Lucrèce Borgia – elle est aussi une rétive, une insolente, une fille qui a beaucoup d’esprit, le sens de la repartie. Lorsque New York la découvre, les répliques fusent. Elle est épatante. Sa joie de vivre la galvanise. Mais les pressions sont épouvantables. Photographes, échotiers. Elle est pudique. Elle n’aura pas une existence facile, mais elle se tait sur les douleurs les plus profondes. Elle rate un suicide en 1960, au sortir du tournage de La Vérité de Clouzot, le jour même de ses 26 ans. C’est de là que vient le «scandale». Pas des amours et encore moins de la filmographie, répétons-le, qui est depuis longtemps considérée comme excellente. Non plus de son jeu. Moqué un temps – sa manière d’articuler : héritage de l’enfance, lorsqu’il faut parler clairement à papa dur d’oreille… Son jeu, c’est sa liberté. Elle pulvérise les codes.

C’est parce qu’elle n’est pas comme les autres que les poètes et les intellectuels se penchent sur son «cas». Qui est donc cette solaire qui rapporte des millions de devises à la France, que toutes les femmes imitent, qui donne le sentiment de la liberté ? Le jeune Barthes l’explique. «Elle n’est pas plus licencieuse mais simplement plus libérée. Elle représente un érotisme plus ouvert, dépouillé de tous ces substituts faussement protecteurs qu’étaient le semi-vêtement, le fard, le fondu, l’allusion, la fuite.»

 

 

Elle vit comme tout le monde en n’étant comme personne (Jean Cocteau)

 

Cocteau l’adore : «Elle vit comme tout le monde en n’étant comme personne.» Duras s’en mêle, docte. «Du Japon à New York et vice versa, elle représente l’aspiration inavouée de l’être humain du sexe mâle, son infidélité virtuelle d’un ordre bien particulier – celle qui l’inclinerait vers le contraire de son épouse, vers la femme de cire qu’il pourrait modeler, faire et défaire à volonté, jusqu’à la mort incluse. Nous l’appellerons de son vrai nom, la reine Bardot.» François Nourissier lui consacre tout un livre. Avec des images ! La plus cocasse est celle du face-à-face avec le général de Gaulle. Tante Yvonne ne veut pas la voir à l’Élysée. Elle vient tout de même. En pantalon, veste militaire d’opérette à brandebourgs, pantalons, cheveux défaits ! Total respect… Le Grand Charles : « Une simplicité de bon aloi. »

En 1968, c’est par le show Bardot que débuta l’année… On coupa une séquence. Celle de la Bardot drapée dans un drapeau tricolore. Mais deux ans plus tard, elle était Marianne !

Brigitte Bardot le 11 mai 1993 à Paris à côté du buste de Marianne, le symbole de la République française, pour lequel Bardot a servi de modèle. Vincent AMALVY / AFP
Cinq années encore, plutôt heureuses, amoureuses, espiègles. Elle se met à la chanson et y déploie son charme sensuel, son esprit. Serge Gainsbourg, Claude Bolling veillent sur la débutante ultrasexy. Elle tourne encore. Elle est irrésistible dans L’Ours et la poupée avec Jean-Pierre Cassel en 1969.

En 1981, un institut de sondage interroge : «Quelles sont les femmes qui ont fait le plus pour l’image de la France ?» Simone Veil qui a défendu en 1976 la loi pour la légalisation de l’avortement et dont on connaît le passé glorieux obtient 55% des suffrages. Brigitte Bardot la talonne à 40%. Oui, elle a fait beaucoup pour l’image de la France. Elle est une femme française par excellence, née dans les années 1930 dans un milieu bourgeois. Elle devance son époque. Elle ouvre les Trente Glorieuses.

Plus tard, au fil d’entretiens mal conduits, de livres maladroits, de déclarations intempestives, elle donnera d’elle l’image d’une femme réactionnaire, raciste, indifférente au sort des hommes. Elle n’était pas ainsi. Et si elle ne comprenait pas l’évolution de la société depuis trente ans, c’est qu’il y avait en elle, au plus profond de son être, les rêves enjoués de la beauté sauvage qui danse à s’en étourdir dans Et Dieu… créa la femme, une jeune fille pure, assez candide et tout à fait innocente.

(Source : Le Figaro)