(Vu sur la Toile)

 

En Corse, vent de panique chez les buralistes
(Article de Julian Mattei, correspondant à Bastia (Haute-Corse) • Rédacrion du magazine Le Point)

Le Point.- De l’aveu même de José Oliva, le président du syndicat des buralistes corses, c’est « une triple peine : une hausse nationale des prix, un rattrapage en Corse et, de surcroît, une baisse de notre commission ».

Depuis le 1er janvier et l’augmentation du prix des cigarettes, qui coûtent entre 50 centimes à un euro plus cher selon les marques, ce chef d’entreprise ne décolère pas.

Dans l’île, cette flambée est plus importante que partout ailleurs : à cette hausse nationale s’ajoute une augmentation de 50 centimes au nom d’un « alignement progressif » des prix sur ceux du continent. Le tarif corse reste certes inférieur de 10 %, mais les heures de cette ristourne qui a longtemps fait de l’île le paradis des fumeurs sont comptées. À l’origine de cette « exception corse » ? Une vieille niche fiscale du Code des impôts. Par un décret en date du 24 avril 1811, Napoléon Bonaparte avait institué cet avantage, qui concerne également le vin, en raison de spécificités liées à l’insularité.

Seulement voilà : ce régime d’exception, qui réduisait le prix du paquet de 25 % dans l’île, touche à sa fin. Le gouvernement a décidé, fin 2020, de raboter cette mesure à l’origine d’une perte de recettes fiscales annuelles évaluée à 26 millions d’euros par l’Inspection générale des finances. Un rattrapage progressif, à raison de 5 % par an, va permettre d’atteindre, en 2025, 95 % du tarif établi dans l’Hexagone.

 

« On va se retrouver acculés »

 

La Corse devrait toujours bénéficier d’un avantage de 5 % en 2026. Mais plus le temps passe, plus les buralistes sentent le vent du boulet. Les débitants s’inquiètent d’une chute des ventes, tout particulièrement lors de la saison touristique. Le syndicat corse fait état d’une baisse de 17 % en 2022 et de 25 % l’été dernier. « Les chiffres sont cataclysmiques, s’alarme José Oliva. Auparavant, les touristes français nous permettaient de travailler davantage, car ils repartaient avec quatre cartouches de cigarettes à la fin de leur séjour. Cela représentait près de 40 % de notre activité. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. C’est même pire : on subit la concurrence de la Sardaigne, qui est située à douze kilomètres, et où le prix du paquet est à six euros. »

À en croire le représentant de cette filière, qui représente près de 800 emplois dans l’île, une grande partie des professionnels insulaires nourrissent de sérieux doutes quant à la poursuite de leur activité.

Sur les 215 buralistes que compte la Corse, seuls 86 auraient engagé la transformation de leur boutique en s’appuyant sur le fonds de soutien national déployé par l’État. Luc Chautard, gérant d’un tabac-presse à Borgo (Haute-Corse), en fait partie. « Malgré la diversification et la refonte de nos commerces, la situation devient très compliquée, considère-t-il. Notre commission, qui était plus élevée que sur le continent pour compenser le tarif plus bas, a également baissé. On essaie de proposer d’autres produits et des services, mais le tabac représente toujours plus de la moitié de mon chiffre d’affaires. Si la situation reste en l’état, on va se retrouver acculés. »

Pour les buralistes, les choses sont claires : sans un moratoire sur la fiscalité, sollicité auprès du gouvernement, « la filière ne tiendra pas le choc », estime José Oliva. Leur inquiétude est d’autant plus vive que la dernière fabrique de cigarettes de France, située à Furiani (Haute-Corse), a fermé ses portes fin décembre en raison d’une baisse des volumes. La fin progressive de la spécificité insulaire sur les produits du tabac a aussi pesé dans le choix du groupe Seita, propriétaire du site, de mettre un terme à cette activité, après plusieurs années de déclin.

 

Un enjeu sanitaire? et financier

 

Dans l’île, le sujet de l’harmonisation des prix du tabac fait l’objet d’âpres controverses depuis longtemps. Cette exception corse est régulièrement épinglée par la Commission européenne qui a déjà condamné la France pour cette double tarification. Les médecins s’alarment quant à eux d’une surreprésentation du cancer du poumon dans l’île. Selon l’agence régionale de santé, le nombre de décès causés par cette maladie y est plus élevé de 25,7 % par rapport à la moyenne nationale.

Mais le tabac n’est pas seulement un enjeu de santé publique en Corse. Derrière ce sujet épineux apparaît aussi un enjeu financier colossal pour la région : tandis qu’en France continentale les droits de consommation sur le tabac sont reversés aux organismes de Sécurité sociale, dans l’île le produit de ces taxes est perçu par la Collectivité de Corse. Cette ressource a représenté, en 2022, pas moins de 153 millions d’euros, contre 108 millions cinq ans plus tôt, soit 17 % de son budget.

C’est sans doute pour cette raison que la majorité nationaliste, aux commandes de la région, a voté le 27 octobre dernier une motion proposant un « échelonnement dans le temps de la mise à niveau des prix pratiqués en Corse. » Une mesure que l’exécutif de Gilles Simeoni souhaite voir assortie d’un plan d’aide aux buralistes spécifique à l’île et d’une « compensation » de toute perte de recettes fiscales. Le sujet est sur la table du gouvernement.

(Source Le Point)