(Vu sur la Toile)
Corse : les contraintes de « sobriété » parasitent la saison touristique
(Article de Par Julian Mattei, correspondant à Bastia (Haute-Corse) • Rédaction hebdomadaire Le Point)
Le Point.- « Comment peut-on expliquer à un client de ne pas mettre la climatisation en pleine canicule ? C’est difficile de faire du tourisme dans de telles conditions. » Gérard Tapias, président de la Fédération corse de l’hôtellerie de plein air, qui regroupe quelque soixante-dix établissements dans l’île, ne cache pas son agacement. À l’heure où la saison bat son plein, les touristes se pressent sur les plages et dans les commerces, c’est aussi maintenant que la Corse va devoir être vigilante quant à sa consommation d’électricité.
EDF Corse a en effet appelé les usagers à la « sobriété » : usage modéré de la climatisation, décalage de certains usages énergivores en dehors des heures de pointe, notamment les appareils électroménagers, etc. En cause ? Un incident technique sur la liaison électrique entre la Sardaigne et la Corse.
Le retour à la normale est prévu « mi-août », selon le directeur régional d’EDF, Vincent de Rul. En attendant, la prudence est de mise pour préserver un système électrique « sous tension », de l’aveu même de l’opérateur. La situation est si tendue que l’entreprise a été contrainte d’installer des groupes électrogènes de secours.
Un déficit d’infrastructures
Une première alerte a eu lieu le 30 juin : en raison d’un aléa technique, plus de 75 000 foyers avaient été privés d’électricité. Pour alimenter l’île, l’électricien dispose d’ordinaire de deux centrales thermiques, d’énergies renouvelables issues de quatre barrages hydroélectriques et d’importations via des interconnexions avec l’Italie. Une consommation anormalement élevée, avec des pointes « inédites » supérieures à 400 mégawatts, conjuguée à des tensions d’approvisionnement au fioul lourd pour alimenter la centrale du Vazzio (Corse-du-Sud) ont poussé EDF à prendre ces mesures. Un timing loin de ravir les acteurs du tourisme en pleine saison.
En Corse, les restrictions face à « l’hypertourisme » font des mécontents
–« Nous louons des hébergements, et la prestation doit être à la hauteur, s’alarme César Filippi, hôtelier à Porto-Vecchio (Corse-du-Sud) et président du groupement des hôtelleries et restaurations de Corse, qui représente 300 acteurs de l’activité touristique insulaire. Comment peut-on accueillir des touristes dans ces conditions ? Nous avons un déficit d’infrastructures. Certains professionnels ne peuvent même plus remplir leur piscine. C’est surréaliste. »
Car ces appels à la sobriété ne se limitent pas à l’électricité. Les ressources en eau sont aussi un sujet de préoccupation, dans cette île de 350 000 habitants qui accueille en moyenne trois millions de touristes chaque été. Depuis juin, la Corse-du-Sud est en « vigilance sécheresse » et 137 communes de Haute-Corse sont placées en « alerte » avec leur lot de restrictions, notamment pour le remplissage des piscines. Les professionnels de la plaisance et du nautisme, qui ne peuvent plus laver leurs bateaux depuis un mois, font aussi grise mine.
« On tue notre activité »
Les professionnels de la plaisance et du nautisme, qui ne peuvent plus laver leurs bateaux depuis un mois, font aussi grise mine. À Saint-Florent (Haute-Corse), Vanina Mascia a constitué un collectif réunissant trente-quatre entreprises et 165 salariés du secteur pour dénoncer les impacts de ces restrictions : conditions d’hygiène non réunies pour l’embarquement des passagers, effets néfastes de l’eau salée sur la mécanique des bateaux, usure prématurée des équipements. « On tue notre activité, s’alarme-t-elle. L’eau est un bien précieux qu’il faut préserver, mais c’est aussi un élément essentiel au fonctionnement de nos activités. »
Les acteurs du tourisme sont d’autant plus remontés qu’ils ont le sentiment d’être les victimes collatérales d’une mauvaise gestion. Celle des pouvoirs publics qui peinent à équiper une île où la ressource est abondante avec de nouveaux ouvrages de stockage de l’eau et à remettre en état un réseau de distribution vétuste. La Haute-Corse occupe en effet le haut du classement des départements où les fuites d’eau potable dans les canalisations sont les plus importantes : 32 % de pertes, selon l’Office français de la biodiversité.
Les canalisations font perdre 1 milliard de m3 d’eau potable chaque année
Le système électrique n’est pas en reste. Depuis dix ans, la consommation électrique de la Corse a connu une croissance moyenne annuelle de 3,6 %, et les infrastructures montrent leurs limites. L’état de la vieille centrale au fioul lourd du Vazzio, inaugurée en 1982, et dont l’arrêt est acté depuis des années, est source d’inquiétude.
Son remplacement par une nouvelle infrastructure, initialement prévue pour 2012, ne sera pas effectif avant 2028. La programmation pluriannuelle de l’énergie, validée en 2015 par l’Assemblée de Corse avec l’ambition d’une « autonomie énergétique » de l’île à l’horizon 2050, a également pris du retard.
Si bien que la CGT énergie Corse alerte depuis plusieurs années sur un risque de « black-out » en raison de moyens de production « sous-dimensionnés ». Les acteurs politiques s’emparent eux aussi de ce débat. Le parti indépendantiste Core in fronte dénonce une « situation inacceptable » qui pèse sur la société insulaire. « Les usagers n’ont pas à subir les conséquences des manoeuvres d’EDF ainsi que de l’absence d’une vraie politique d’autonomie énergétique de l’assemblée de Corse », tonne le parti nationaliste.
En pleine saison, le sujet n’a pas fini de faire des vagues ?
(Source : journal Le Point)