(Vu sur la Toile)

 

La loi immigration passe dans la douleur à l’Assemblée nationale. Le texte a été adopté mardi dans la soirée avec une large majorité, mais les débats ont été tendus. La version « dure » du projet de loi a ouvert une crise sans précédent dans la majorité. La loi a finalement été adoptée par 349 voix pour et 186 contre. (Rédaction Les Echos – par Grégoire Poussielgue)

(Les Echos).- Une journée plus que mouvementée et, au final, un vote large mais dans la douleur. Le projet de loi sur l’immigration, porté par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a été adopté tard mardi soir avec une large majorité à l’Assemblée nationale : 349 députés ont voté en faveur du texte et 186 contre. Dans la journée, l’annonce surprise de Marine Le Pen d’un vote favorable des députés du Rassemblement national (RN) avait levé le doute sur le sort du projet de loi, par ailleurs largement adopté au Sénat un peu plus tôt dans la soirée.

Dans le détail, vingt députés Renaissance ont voté contre le projet de loi et dix-sept se sont abstenus, une fronde inédite depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, rendue encore plus visible par la simple majorité relative. En d’autres termes, seuls 131 députés macronistes sur 170 ont voté en faveur du projet de loi.

Dans les autres composantes de la majorité, cinq députés MoDem ont voté contre et 15 se sont abstenus. Chez Horizons, le parti d’Edouard Philippe, on compte deux votes contre. Au RN, la consigne de vote de Marine Le Pen a été unanimement suivie (88 votes en faveur du texte) tandis que les 62 députés Les Républicains (LR) se sont également prononcés en sa faveur. Toutes les composantes de la gauche ont voté contre.

 

Ambiance tendue

 

Dans la soirée, les débats se sont déroulés dans une ambiance tendue au Palais-Bourbon. Lors du débat sur la motion de rejet, Gérald Darmanin a concentré ses attaques contre la gauche, accusée de s’être alliée au RN la semaine dernière lors du vote de la motion de rejet , et contre le parti de Marine Le Pen, dont il a pointé les contradictions. « Tout ce que vous arrivez à faire, ce sont des petits coups. Vous n’êtes pas prête pour le pouvoir, et c’est tant mieux », a-t-il lancé à la triple candidate à l’élection présidentielle.

Prenant le temps de présenter toutes les avancées d’un texte qui n’est plus vraiment celui qu’il porte depuis un an, le ministre de l’Intérieur s’est surtout gardé d’évoquer les dispositions les plus polémiques, comme celles concernant les prestations sociales . La présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, a dénoncé un projet de loi qui « défigure la France » et appelé les députés de la majorité à la rejeter. Une ligne partagée par les autres responsables de gauche .

 

Longue soirée à l’Elysée

 

La soirée a été longue ailleurs qu’à l’Assemblée nationale. Avant le vote, Emmanuel Macron avait réuni les responsables de la majorité à l’Elysée pour une réunion de crise . Certains, comme Sacha Houlié, qui a voté contre le projet de loi, plaidaient pour son retrait pur et simple. Surtout, le président de la République a su convaincre son allié François Bayrou, le président du Modem, de voter la loi.

Au Modem aussi la version sortie de la CMP ne faisait pas que des heureux, le président du groupe, Jean-Paul Mattei, ayant annoncé un peu plus tôt dans la journée son intention de voter contre, avant de laisser leur liberté de vote aux députés MoDem. Tout au long de la soirée, les responsables de la majorité ont dénoncé le « piège » tendu par Marine Le Pen et tenter de s’affranchir de ce vote si encombrant.

Au final, le texte peut afficher une majorité sans avoir recours aux voix du RN.

Mathématiquement, en enlevant les voix du RN, la majorité reste acquise à Emmanuel Macron (261 voix pour, 186 contre). Mais le RN a donné un sérieux coup de pouce politique à la majorité en ne votant pas contre le texte. Si cela avait été le cas, les votes « contre » auraient alors atteint 274 voix, battant les « pour » de 13 voix.

Lors de la réunion qui s’était tenue à l’Elysée, Emmanuel Macron avait déclaré qu’il demanderait une deuxième délibération si la majorité avait eu besoin des votes du RN, en vertu de l’article 10 de la Constitution de la Ve République. Il n’aura pas besoin de passer par là et il peut même être satisfait : le vote du projet de loi immigration est bien intervenu avant les fêtes de fin d’année comme il le souhaitait. Mais il n’en reste pas moins que ce vote RN en faveur d’un texte gouvernemental sur un sujet aussi sensible que l’immigration laissera des traces.

 

Aurélien Rousseau propose sa démission

 

La facture risque d’être lourde pour le président de la République qui doit faire face à une crise politique au sein même de sa majorité et à des accusations, largement relayées par la gauche, de collusion avec le RN. Selon l’AFP, le chef de l’Etat devrait s’exprimer ce mercredi. Elisabeth Borne sera pour sa part l’invitée de la matinale de France Inter.

Avant le vote, plusieurs députés Renaissance avaient publiquement affiché leur opposition à un texte dans lequel ils ne se reconnaissent pas , également une première depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017. Plusieurs ministres rétifs au projet de loi se sont par ailleurs réunis : parmi eux, Aurélien Rousseau (Santé), Clément Beaune (Transports) ou encore Patrice Vergriete (Logement). Ils sont passés aux actes dans l’hémicycle. Et selon une source ministérielle, le ministre de la Santé a remis mardi soir une lettre de démission à Elisabeth Borne, qui n’a pas annoncé si elle l’acceptait.

Le texte issu de la CMP, ainsi que la décision du RN de voter, place le locataire de l’Elysée dans la situation politique la plus difficile depuis son accession à la présidence de la République en mai 2017. Sa majorité étale au grand jour ses fractures, qui touchent aussi le gouvernement, le RN peut revendiquer un coup tactique qui l’a mis dans l’embarras, LR s’est refait une santé après le catastrophique épisode des retraites en votant d’une façon unanime – Eric Ciotti, le patron du parti, a évoqué une « victoire historique » – de même pour la gauche qui a réussi à parler d’une seule voix, ce qui n’était pas acquis après l’explosion de la NUPES.

 

 

Une rupture inédite

 

L’onde de choc dépasse le seul champ de la majorité. Fait inédit, les Jeunes avec Macron (JAM) avaient publiquement pris position contre le projet de loi. « Mesdames et Messieurs les parlementaires de la majorité, réagissez et agissez : ne soutenez pas un texte de loi qui contreviendrait aux valeurs et aux orientations de notre famille politique », ont-ils indiqué sur X (anciennement Twitter) avant le vote de l’Assemblée nationale.

S’ils n’ont pas été écoutés, cette prise de position marque une rupture inédite entre la majorité et sa branche jeunesse qui, jusque-là, s’est toujours fait le promoteur fidèle de la politique du chef de l’Etat. Les ONG se sont également prononcées contre le texte, tout comme les présidents de plusieurs universités publiques, qui dénoncent la mise en place d’une caution pour les étudiants étrangers. Si elle a été définitivement approuvée mardi, la loi immigration n’a pas fini de faire parler d’elle.

(Source Les Echos РGr̩goire Poussielgue)