*Par Christophe Euzet (Agir), 57 ans, ex député LaREM (2017 – 2020) de la 7e circonscription de l’Hérault,  maître de conférence en droit public, président de l’association « Perpignan il est temps »

 

 

-“De l’art de renverser le sens des choses… au nom de l’Etat de droit !

La démocratie bafouée, l’Etat de droit insulté, l’arme atomique dégainée, la tyrannie des juges en action ! Que n’a-t-on pas lu ou entendu depuis lundi, qui restera assurément un jour important oui… mais dans l’histoire de l’hystérie collective dans laquelle notre pays vient de sombrer. Et les uns et les autres d’organiser dans l’urgence des propositions de lois, des marches, des manifestations, des pétitions et autres mots d’ordre racoleurs pour sauver la future (autoproclamée) présidente de la République.

Oui, le couperet est tombé hier, avec ses lourdes peines, contre ceux qui avaient érigé le détournement des financements européens en mode de fonctionnement de leur formation politique pendant des années : coupables. Coupables d’avoir détourné plusieurs millions d’€uros.

Les responsables du Rassemblement national ont été jugés et condamnés en première instance et n’importe qui, dans une situation pareille, aurait été jeté aux orties, unanimement montré du doigt comme faisant partie de cette innommable classe politique de corrompus à laquelle on ne saurait jamais plus faire confiance.

 

Une famille (presque) comme une autre

 

Oui mais voilà, cette fois, c’est à la plus intransigeante des formations politiques, à celle qui se drapait dans les oripeaux de la respectabilité éternelle, que la condamnation est infligée. Majesté offensée ! Le Rassemblement national est pourtant bien un parti dont les dirigeants vivent sur le dos de la bête (les financements publics de la vie politique) depuis bien (trop ?) longtemps. Et maintenant nous savons comment…

Alors, bien sûr, il est pénible, dans ces moments cruels, de reconnaître que l’on s’est trompé ou que l’on a été trompé. Ceux qui votent pour le clan Le Pen ne sauraient du jour au lendemain remettre en question les longues années qu’il leur a fallu pour finalement basculer vers l’idéologie de la formation d’extrême droite avec, toujours, ce petit résidu de mauvaise conscience. Et là, maintenant que l’on pouvait s’en réclamer fièrement, au nom de la Vertu, au nom de la transparence retrouvée des prétendants au Pouvoir, tout tomberait par terre ? Que nenni. Mieux vaut accuser le système que d’admettre s’être trompé. Ce n’est donc pas une organisation de malfaiteurs qui a été jugée lundi, mais les défenseurs du Bien contre le Mal.

D’ailleurs, ne nous y trompons pas : tous les défenseurs du Bien ont, sans délai, sans connaître un traitre mot de l’affaire, sans même lire la décision de justice, sans attendre parfois le prononcé du jugement, dénoncé cet assaut sans nom contre la démocratie : Poutine, Orban, Trump, Musk, Mileï… tous les défenseurs acharnés de la liberté et de l’Etat de droit ont volé au secours des victimes de l’impitoyable système judiciaire français. On croit rêver.

 

Justice à deux vitesses ?

 

Assurément. Le parti de la famille Le Pen a crié au scandale et dénoncé une justice à modulation variable selon les accusés, et il a bien raison. Qui peut connaître la date de son jugement en appel au jour de la condamnation en première instance ? Personne en dehors de madame Le Pen. Pourquoi ? Tout simplement parce que les juges qui ont rendu la décision font depuis lundi l’objet de pressions médiatiques et de menaces de mort. Ils craignent pour leur vie. Les grands défenseurs de la démocratie font peur. Bien évidemment, la menace ne vient pas des condamnés eux-mêmes, mais des plus endoctrinées de leurs troupes qui sont déjà, bien en amont d’une conquête du pouvoir qui pourrait avoir lieu un jour, hors de contrôle.

Justice à deux vitesses, oui, bien sûr. Aux chatelains, aux grandes familles politiques, les procédures sur mesure qui fixent à l’avance les dates des appels et des cassations pour éviter les révolutions. Justice de Loge pour le Clan Le Pen- Aliot. Justice sans aucun aménagement pour les plus modestes, issus du vrai peuple, comme moi : je suis sous la menace d’un inéligibilité devant le Conseil constitutionnel parce qu’un collaborateur bénévole a posté le compte rendu de ma campagne électorale de 2024 avec cinq jours de retard.

Une campagne qui a coûté 3 100 €uros de ma poche et dont le contenu n’est remis en cause par personne (si on en retranche les 1 400 €uros de comptable et les 1 000 €uros de conception des affiches et des tracts, c’est une campagne électorale à 700 €uros… ça ferait presque rire). Résultat ? la peine risquée est une inéligibilité d’un an, sans possibilité de venir me défendre en personne au Conseil, sans possibilité de sursis, sans appel possible, sans date du jugement à venir. J’attends mon sort, sans plus d’information. Je n’ai pas accès à la justice programmée pour notables.

Mais je le dis sans coup férir : ce qui ne tue pas rendant plus fort, si la Haute juridiction veut bien accepter, comme je le lui ai demandé dans mes observations écrites, que ma punition se limite au non remboursement des 3 100 €uros en question, il faudra compter avec moi pour Perpignan en mars 2026 et pour offrir aux perpignanais une sortie de l’immobilisme par le Haut.

 

Politique en Trumpe l’œil

 

Diversion. Tout cela n’est que diversion. Une vaste diversion pour masquer que la formation politique familiale clanique du Rassemblement national n’a rien à offrir au pays, si ce n’est la victimisation. La victimisation comme moteur, procédé dont abusera assurément le maire de Perpignan dans les prochains mois. Une vraie Mater dolorosa ce maire absent, désormais lourdement condamné par la Justice mais bénéficiaire, lui, des mécanismes d’appel qui rendent possible son maintien dans cette mairie qui l’intéresse si peu, à la tête de cette population qu’il ne connaît pas. Je veux croire toutefois que faire ce pari, celui de la victimisation médiatisée, c’est mal connaître la ville, Perpignan la catalane, Perpignan la sanguine, Perpignan la méditerranéenne, qui lui avait donné les clés de la ville « pour voir » il y a cinq ans et qui a désormais compris qu’il n’y avait rien à voir.

L’appel du clan Le Pen-Aliot sera rendu en juin 2026. La cassation se prononcera en janvier 2027. La procédure sera donc bouclée avant la présidentielle. Quand on sait que 98% des affaires de ce type sont confirmées en appel, il y a donc autant de chances que Marine Le Pen ne soit pas de l’aventure présidentielle de mai 2027. Nous pouvons passer deux ans à polémiquer sur le comment du pourquoi d’une procédure judiciaire. Nous ferions mieux de les consacrer à produire des projets pour la France, quels que soient les idéaux politiques de chacun : rien n’interdira au rassemblement National de défendre le programme d’un ou d’une candidate. C’est une honte de prétendre le contraire.

Il en va encore plus ainsi à Perpignan : nous pouvons passer un an à disserter sur le devenir judiciaire du maire absent-condamné, commenter le nom de la placette, le tag dans le bureau, le comportement du policier… et les subtilités de son agenda judiciaire. Il sera probablement en train de défendre son cas en appel au moment des municipales, devant les télévisions nationales. Il était en train de se défendre, en première instance, alors même que se jouait (et se joue encore, mais qui s’en soucie ?) le sort des gares TGV qui seront construites à Narbonne et à Béziers, mais pas dans la cité catalane si aucun combat n’est mené sur ce terrain. Nous n’existons plus.

Mieux vaudrait, assurément, ferrailler autour d’un projet pour la ville et ses habitants. Non, nous ne pouvons pas continuer dans cette voie. Oui, il va falloir arrêter la victimisation, le politique en trumpe l’œil et descendre dans l’arène du débat entre projets. Si le Conseil constitutionnel ne me coupe pas les ailes, je m’engage à y contribuer. De toutes mes forces”.

 

Christophe Euzet, président de l’association « Perpignan il est temps »