Cette Coupe du monde se déroulera, vous l’avez su, sur un cimetière d’ouvriers, sur des affaires de corruption et un scandale écologique sans précédent

Vous me permettrez, à quelques jours de l’ouverture de cet évènement, de rafraîchir la mémoire de tous ceux qui préféreraient oublier.
M’étant penché sur un article de Michel Pocréaux, journaliste au Monde Diplomatique, j’ai voulu donner quelque résonance aux dessous scandaleux et scabreux de ce mondial à venir.
C’est un secret de Polichinelle depuis un certain dîner organisé à l’Elysée en novembre 2010, sous la présidence de Nicolas Sarkozy : Michel Platini, président de la très puissante FIFA (Fédération Internationale de Football Association) a dû, ce soir-là, avaler des couleuvres pour que l’organisation de la Coupe du monde de football 2022 puisse se dérouler non plus, comme prévu, au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas, mais au Qatar. D’aucuns se sont réjouis de ce choix et de ce coup de billard à trois bandes : des hommes d’affaires proches du président, des membres de la puissante FIFA, soudoyés ô combien, et le résident du club Paris Saint-Germain, un club endetté jusqu’au cou dont le passif de 64 millions d’euros sera racheté, comme par enchantement, par le futur prince héritier du Qatar : Tamin al-Thani..
Droit dans ses bottes, le président Sarkozy a parlé à Platini d’intérêts supérieurs de la France. Ah oui ? Mais lesquels au juste ?
En 2013, l’hebdomadaire France-Football, au fil d’une longue enquête, reproduira un mail du secrétaire général de la FIFA lâchant sans ambiguïté : « Ils ont acheté le mondial 2022 ».
Frontalier de l’Arabie Saoudite, le Qatar est un petit pays, d’une superficie de 11 586 km² (deux fois et demi le département des Pyrénées-Orientales), ouvert sur le golfe de Bahreïn. Il tire sa principale ressource du pétrole et des gisements de gaz naturel au large de ses côtes. Il est montré du doigt pour le non-respect des Droits de l’homme, les graves atteintes à la liberté d’expression, les maltraitances et exploitations réservées aux travailleurs migrants. C’est peu de dire que la condition des femmes a encore de grands progrès à faire dans ce pays.
Dès l’annonce officielle de cette décision, des milliers de Qatariens sont descendus en quelques minutes dans les rues de Doha provocant des kilomètres d’embouteillages dans une capitale habituellement calme.
Mais, oserais-je dire, s’il ne s’agissait que de cela !

 

« De 5 000 à 6 500 migrants morts en dix ans ! »

 

C’est le titre d’un article du très sérieux périodique anglais, le Guardian, daté de février 2021, qui fera l’effet d’une bombe en levant le voile sur le prix payé en vies humaines par les ouvriers des chantiers du Mondial de foot au Qatar.
Accueillir une coupe du monde au milieu du désert relève de la science-fiction mais on semble bien s’en accommoder.
Aucune infrastructure n’existe pour recevoir un tel évènement : pas de stades (on en construira sept), pas de routes (une vingtaine seront nécessaires), pas d’hôtels (45 000 chambres supplémentaires seront prévues). Mais ce n’est pas tout : on construira encore un métro et même une nouvelle ville (son nom : Lusail) qui accueillera le match d’ouverture et la finale.
Le chantier sera titanesque. Il faudra construire à marche forcée. La main d’œuvre (plusieurs centaines de milliers de travailleurs délocalisés) viendra d’Inde, du Pakistan, du Bangladesh, du Népal, du Sri Lanka, des Philippines, du Kenya et de l’Ouganda. En dix ans, macabre bilan, des milliers d’ouvriers mourront sur ces chantiers (entre 2011 et 2021), mal-payés et exploités, travaillant sous des températures insoutenables pour l’organisme.
La FIFA, du bout des lèvres, espérera « des changements sociaux positifs ».
Le Parlement européen se dira « préoccupé ». Espérons que cette « préoccupation » n’a pas empêché les parlementaires de dormir.
Tous les stades abritant des compétitions seront climatisés, ouverts en pleine chaleur, mais climatisés, tout comme les hôtels, le métro, la ville nouvelle… Les experts écarquillent les yeux : «…une climatisation à ciel ouvert, pour ces stades, est une perte d’énergie considérable…c’est une aberration».
Cette coupe du monde 2022 devrait générer en un peu plus d’un mois, 3,6 millions de tonnes de dioxyde de carbone, soit davantage que ce que le Monténégro, l’Islande et la République Démocratique du Congo réunis produisent en un an…
A très grande échelle et si les enjeux financiers sont de taille on fait fi d’un scandale écologique majeur alors que l’on demande, à tous les citoyens de la planète, une prise de conscience, des efforts, de la réflexion, d’avoir les bons gestes pour endiguer la fuite en avant d’un train qui file à toute allure dans le mur.
Cette situation, un brin nauséabonde, ternit la devanture d’un sport devenu un paravent pour des intérêts géopolitiques, économiques et financiers.
Albert Camus ne disait-il pas pourtant : « Tout ce que je sais de plus sûr à propos de la moralité et des obligations des hommes, c’est au football que je le dois ».
De cet état d’esprit, nous nous en sommes tellement éloignés cher Albert Camus ! C’était une autre époque, avec d’autres valeurs, d’autres exigences et une autre morale ! Et puis les équipes de professionnels n’existaient pas ou très peu, on ne parlait pas d’argent.

Au fait : On y va comment là-bas ? En trottinette ?
Non, je crois qu’on prend l’avion et ça va ronfler les rotations !

« Nous vivons, c’est certain, une époque formidable » !

 

Pierre Leberger