(Vu sur la Toile)

 

CNews a dépassé BFMTV dans les audiences et ça en dit long sur notre société
(Article de Valentin Etancelin • Rédaction Le Huffington Post)

 

Le Huffington Post- Un recrutement rentable. Depuis qu’il a été débauché de RTL pour rejoindre CNews, Pascal Praud, dont l’émission L’Heure des pros est diffusée deux fois par jour, n’a pas seulement fait gagner à la chaîne du groupe Bolloré plus de 80 000 téléspectateurs sur sa tranche, il a très certainement contribué à faire d’elle la chaîne d’info en continu la plus regardée.

Pour la première fois depuis sa création en 2017, CNews est devenue la première chaîne d’info de France en termes d’audience sur une semaine complète, du 4 au 10 décembre, a-t-on appris ce mois-ci de Médiamétrie.

Elle a réalisé 2,7 % de part d’audience sur la semaine, devant BFMTV (2,5 %), jusqu’alors leader inamovible des chaînes d’info, LCI et franceinfo.

Créée en 2017 sur les cendres d’iTélé, CNews est régulièrement accusée de promouvoir les idées ultraconservatrices prêtées à son grand patron, Vincent Bolloré. Alors, comment en est-on arrivé là ? Et que présage cette montée en puissance de CNews dans le paysage médiatique ? Le HuffPost a interrogé Isabelle Veyrat-Masson, sociologue des médias et directrice du laboratoire Communication et Politique du CNRS, pour y voir plus clair.

 

-Le HuffPost : l’arrivée de CNews sur la première place du podium, est-ce une surprise ?

Isabelle Veyrat-Masson : “Pas du tout. Premièrement, la différence n’est pas énorme entre BFMTV et CNews. Il suffit qu’un sujet soit porteur pour grimper, comme c’est souvent le cas entre TF1 et France 2. De plus, BFMTV, ce n’est pas non plus France Télévisions. Comme CNews, BFMTV va dans ce qui plaît aux gens. On peut le voir dans son traitement des faits divers. En revanche, je suis frappée de voir que BFMTV ne diffuse pas tant d’horreurs que ça, malgré le rythme quasi ininterrompu à l’antenne. C’était plutôt rassurant de la voir tenir son rang jusque-là”.

 

-Comment CNews a-t-elle réussi à lui passer devant ?

“Comme souvent, il n’y a pas de réponse unique. La première est conjoncturelle. La politique de CNews, c’est d’être dans la provocation, le débat violent et des prises de position très fortes. Or, on le sait, les algorithmes sur les réseaux sociaux favorisent la polémique, le scandale et l’agressivité. Les dérapages ont toujours fait de l’audience.

Deuxièmement, CNews a choisi un positionnement de droite extrême, dans lequel des gens d’extrême droite interviennent souvent. On ne peut pas pour autant dire que c’est une chaîne d’extrême droite car elle revendique du pluralisme dans ses invités, même s’il est très teinté à droite. Notre société française est une société de plus en plus à droite et au sein de laquelle les idées d’extrême droite ont atteint une forme de normalité. Pour beaucoup, les valeurs de l’extrême droite sont désormais conformes à celles de la République”.

 

-Est-ce que CNews a favorisé l’installation du Rassemblement National ou l’inverse ?

“Je pense plutôt que CNews accompagne son installation. Et c’est là, la vraie différence entre BFMTV et CNews. Chez BFMTV, il y a une volonté de garder un positionnement très journalistique, malgré les critiques sur le manque de distance parfois de certains de ses journalistes. La chaîne d’info adopte en tout cas un ton plus neutre que CNews.

La société change. La réception de l’éthique du journalisme, aussi. Depuis que les chaînes d’info existent, les téléspectateurs ne détestent pas avoir des chaînes positionnées. Cela ne veut pas dire qu’ils sont d’accord avec leurs idées – le journalisme de la neutralité existe toujours -, mais ils veulent de la pluralité”.

 

-À l’heure où on se parle, CNews a dépassé BFMTV dans les audiences sur une semaine (4 au 10 décembre). Cela peut-il vraiment durer ?

“Ça ne veut pas dire du tout que ça peut s’installer sur le long terme. Ladite semaine n’est pas un hasard. On peut parler d’un concours de circonstances. Pendant celle-ci, il y a eu le Complément d’enquête sur Cyril Hanouna (qui anime TPMP sur C8, chaîne du même groupe, ndlr), la prise de position de Pascal Praud sur la guerre entre Israël et le Hamas, mais aussi la mort de Thomas à Crépol. Or, les faits divers, comme celui-ci, sont des éléments d’actu très mobilisateurs.

L’effet peut se retourner contre CNews. Venus s’informer sur un fait divers, les téléspectateurs peuvent se rendre compte des erreurs commises par la chaîne. Dans le cas de Crépol, le premier cadrage de CNews sur la rixe a, par exemple, été ensuite contredit”.

 

-Doit-on s’attendre à ce que cette montée de CNews ait des conséquences, et notamment dans ce que les autres chaînes d’info ont à proposer ?

“La tentation pour BFMTV, ça va être de vouloir faire du CNews, c’est-à-dire d’accentuer la controverse, la dispute, la discussion un peu âpre. Chez franceinfo, probablement pas car il reste une pression dans le service public à maintenir l’éthique du journalisme, ce qui ne va pas forcément dans ce qui intéresse le grand public. En revanche, chez LCI – qui est beaucoup plus portée sur l’actualité étrangère chaude -, on ne sait pas ce que ça peut influencer. Aujourd’hui, l’audience est vitale. La recherche du scoop, du scandale et du buzz, ça va aller dans le sens de CNews”.

 

-Notre façon de nous informer à la télé risque-t-elle d’en pâtir ?

“Évidemment. L’audience va recadrer et réorganiser l’information. Si CNews durcit ses positionnements politiques et éthiques, ça va avoir des conséquences. Cependant, personne n’est maso. Certaines personnes vont arrêter de regarder car on ne regarde que ce qui est en accord avec nous.

L’histoire des médias nous a aussi montré plus d’une fois que les médias les plus engagés politiquement font le moins d’audience. Si vous voulez vendre vos journaux, il faut être le plus large possible dans le choix du lectorat. L’engagement politique n’est pas un bon plan commercial. Je ne vois pas d’exception. La mainmise de Vincent Bolloré dans les médias nous fait dire qu’il n’est sans doute pas là pour gagner de l’argent”.

(Source Le HuffPost)