
Francis Daspe, La France Insoumise (LFI66).
Municipales à Perpignan : les grisailles et la lueur
A cent jours du premier tour des élections municipales de Perpignan, un sondage IFOP a été dévoilé mardi 9 décembre dans L’Indépendant. Avec toutes les précautions d’usage nécessaires en de pareilles circonstances, plusieurs enseignements peuvent cependant être tirés des chiffres disponibles. Ils indiquent quelques tendances significatives, qui bien souvent confirment des réalités observables sur le terrain.
L’extrême droite phagocyte la droite prétendument républicaine
Le score élevé du maire sortant d’extrême droite Louis Aliot est incontestable. Mais, à y regarder de plus près, il doit être relativisé. En réalité, il capte dès le premier tour une grande partie des voix de la droite anciennement dite républicaine. Revers de la médaille, il réduit de ce fait drastiquement ses réserves potentielles de second tour. Autrement dit, le socle initial s’élargit, mais la capacité de rassemblement au second tour se rétrécit. Et ce sans parler des échéances judiciaires qui l’attendent en ce début d’année 2026, sans préjuger de leur impact qui ne sera pas totalement neutre.
En effet, un des faits majeurs de ce sondage réside dans l’effondrement spectaculaire de cette droite prétendument républicaine. Elle se trouve indiscutablement en voie d’extinction, ou tout du moins dans un processus pouvant y mener. Bruno Nougayrède dépasse à peine le seuil fatidique des 10%, gage d’autonomie de choix en vue d’un éventuel second tour. Comme prévu et prévisible, les électeurs préfèrent toujours l’original à la copie. C’est que les déraillements et autres dérives des instances nationales de cette formation politique qui a depuis longtemps abandonné le gaullisme ont puissamment contribué au discrédit enregistré pour l’occasion sans ménagement.
Sans doute, les casseroles, récemment révélées par Le Canard Enchaîné, du candidat qui tablait à l’opposé sur un positionnement plus modéré, ont-elles dû apporter leur écot à cet affaiblissement significatif. Jusqu’à présent, l’addition des scores obtenus par les formations relevant de cet espace politique dépassait toujours les 30%. La chute est bien brutale à défaut d’être totalement surprenante.
L’enlisement du Marais transformé en Marécage
Cet effondrement ne bénéficie pas à ce que l’on pourrait appeler un bloc allant du centre droit au centre gauche. On assiste au contraire à un enlisement d’un « Marais ». Il est composé avant tout par une pléthore d’ambitions personnelles – Mathias Blanc, Agnès Langevine, Annabelle Brunet -, si bien qu’il serait plus juste de le dénommer « marécage ». La somme des trois atteint péniblement les 27%. Mais, surtout, aucun n’étant assuré de dépasser la barre des 10% (deux ne l’atteignant pas en l’état), si importants pour qui aspire à jouer un rôle de premier plan au second tour. En outre, les divisions montrent, ou répercutent, le manque de complémentarité et de compatibilité des électorats, réalité trop souvent occultée dans les meccanos politico-électoralistes (souvent dérisoires), mais qui sont monnaie courante dans cet espace politique.
A l’évidence, Agnès Langevine ne dispose pas d’un socle suffisant qui lui soit propre. Son vagabondage partidaire lui ayant fait connaitre un grand nombre de formations politiques ne permet pas à cette créature de Carole Delga (ou une de ses créatures tant la présidente de la région devient difficile à suivre, en dehors sa haine viscérale à l’encontre de la vraie gauche authentiquement incarnée par La France Insoumise…) de s’assurer suffisamment d’autonomie.
Autrement dit, dur de militer par ses propres moyens pour des personnalités se croyant exemptées du militantisme de terrain au quotidien… En conséquence, elle ne dispose pas d’autre expédient que de se rabattre sur la « tactique du coucou ». Puisque son nid est trop étroit (socle n’atteignant que seulement 9%), elle vise à investir un autre nid plus spacieux pour ensuite s’approprier le socle à peine plus élevé, celui de Mathias Blanc, et bien évidemment à son détriment.
Opération pas forcément compliquée, tant ce dernier illustre pour sa part le plafond de verre caractéristique du vieux monde politique. Celui-ci est désormais incapable de faire fructifier ce qui lui reste de rentes. Certes, son socle est un petit peu plus élevé (11%), mais il se retrouve en échec dès lors qu’il lui faut l’élargir, rassembler plus largement, créer une quelconque dynamique. Il faut dire que l’étiquette socialiste constitue davantage un boulet, et plus encore avec les derniers votes des députés socialistes à l’Assemblée nationale qui confinent à la trahison du programme du Nouveau Front Populaire. Il est vrai que le programme ne serait jamais le point d’arrivée, seulement le point de départ…
Les voilà en somme revenus aux années noires du quinquennat Hollande, c’est dire ! Quant aux partenaires traditionnels communistes, ou plus exactement supplétifs, leurs manigances politiciennes de coulisses sont inversement proportionnelles à leur capacité à enclencher des dynamiques électorales et à se prévaloir d’une réelle résonance au sein de la population. La fuite en avant de l’attelage, qui dirige conjointement le département et la région, dans une logique gloutonne et compulsive de cartels stériles (la fameuse soupe de logos que l’on semble avoir fierté à accumuler et à exhiber), se révèle désormais infructueuse et inadaptée. Il est à noter que dans ces cartels la représentativité des différentes composantes ne sera pas en mesure de générer la moindre dynamique, à défaut de se faire plaisir dans un entre-soi rabougri et rabougrissant. Quant toute dynamique devient impossible, l’addition espérée se transmute très rapidement en soustraction. Ainsi va la loi d’airain des campagnes électorales.
La (petite) union forcée du premier tour, pour mieux refuser la (grande) du second tour
Confronté à de multiples impasses, ce Marais / Marécage est enjoint à envisager une union dès le premier tour. Elle s’apparente en réalité à une « union forcée sans capacité propulsive ». Pour autant, cette union disposerait d’une certaine cohérence. A sa manière, cela va de soi. Il s’agit en quelque sorte d’un espace politique pouvant exciper de mots d’ordre communs : haro au programme du Nouveau Front Populaire, sus à La France Insoumise, le tout sous le patronage de Carole Delga, incarnation du féodalisme clientéliste régional. Quant bien même il faudra à certains une dose certaine d’abnégation pour manger chapeaux et avaler couleuvres, de surcroît avec un maximum d’appétit, pour accepter les uns derrière les autres en donnant l’impression de faire bloc !
En fin de compte, ce n’est rien moins qu’une « grande coalition à la perpignanaise », mais bel et bien riquiqui et désespérante. Elle n’impulse aucune dynamique. L’arithmétique ne se trouve même pas au rendez-vous. La déperdition est considérable, passant d’un total cumulé de 27% (c’est-à -dire la somme des trois candidats dans lesquels on n’oublie pas Annabelle Brunet) à 22% ou 21%, ou même 15%, selon la configuration des alliances et les préséances des ralliements (qui ressembleront bien souvent à des abdications individuelles). Une confirmation de ce que nous indiquions un peu plus haut : sans addition, la douloureuse soustraction surgit sans préavis.
Le cas Annabelle Brunet illustre la réalité de ces écarts, des déceptions engendrées et des malentendus manifestes, pourtant entretenus en dépit de tout bon sens. Son socle reste modeste (7%), même s’il ne doit pas être sous-estimé pour autant. Par contre, dans une perspective d’union ou de rassemblement, elle constitue clairement une plus-value très résiduelle. Elle n’apporte en effet que 1% à une « grande coalition à la perpignanaise » véritablement bien chiche. Une bonne partie de son électorat se dirige vers le candidat de droite Bruno Nougayrède qui atteint son zénith dans cette configuration, avec 15,5 %. Annabelle Brunet, avantageusement présentée comme incarnant l’improbable catégorie de « divers centre », est en réalité une candidate de centre droit et de droite. La grande coalition à la perpignanaise Blanc / Langevine / Brunet efface bien ce qui reste du traditionnel clivage gauche / droite. Elle prend en réalité la forme et les objectifs d’un nouveau macronisme pour mieux perpétuer sous une forme à peine renouvelée la première version originelle désormais périmée. Décidément, que peuvent bien venir faire les communistes et leurs affidés dans cette galère ?
A gauche, la lueur d’espoir de « Perpignan, changez d’air ! »
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Une fois la revue plus ou moins exhaustive des forces en présence effectuée, il apparait nettement que la liste « Perpignan, changez d’air ! », menée par Mickaël Idrac, rassemblant Les Ecologistes, Génération.s et La France Insoumise, est celle qui possède le socle le plus solide pour une alternative crédible. Elle est celle qui est le plus en dynamique, avec les Insoumis et les Ecolos, courants politiques les plus en résonance avec les préoccupations populaires.
Dans une perspective majoritaire, elle est surtout la seule qui n’a exprimé pour le second tour aucune exclusive à l’encontre d’une autre liste de gauche, ou s’apparentant à la gauche. Par conséquent l’union de la gauche au second tour ne peut se faire que si « Perpignan, changez d’air ! » arrive en tête de toutes les listes de gauche, nettement étant véritablement préférable. Car sans union de toutes les forces de gauche, qui plus est de celles qui sont majoritaires au sein de la gauche et que certains voudraient ostraciser de la manière la plus sectaire qui soit, nonobstant leur rétrécissement accéléré, pas le moindre espoir de victoire au second tour contre l’extrême droite !
Et pour celles et ceux qui envisageaient, plus ou moins secrètement, mais avec toujours plus de perfidie, de compenser la mise à l’écart de La France Insoumise par une alliance de rechange avec la droite dite républicaine, dans une improbable resucée d’un front républicain élimé jusqu’à la corde, discrédité par son inefficacité et son caractère improductif, voire même contre-productif, ils doivent en abandonner l’hypothèse avec l’effondrement de cette droite… Du côté de l’Hôtel de région, il va falloir à nouveau phosphorer intensément… Car ne perdons pas de vue que l’injonction à réaliser au premier tour la (petite) union mode « grande coalition à la perpignanaise » ou « macronisme ressorti des limbes » ne vise finalement qu’à empêcher la (grande) union des forces de gauche au second tour en excluant par principe La France Insoumise.
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Presque partout, les diverses nuances de grisaille s’imposent à la vue et à la réflexion de tout un chacun. Au milieu de cette morne plaine qu’est le champ électoral perpignanais (mais pas au centre, davantage plutôt au cœur ou même en surplomb), il est loisible de discerner une lueur d’espoir. Comme une promesse de printemps qui surviendra, d’un point de vue calendaire, deux jours avant le second tour des municipales. Acceptons-en l’augure et continuons à militer et à en construire le récit. Car Perpignan, n’en déplaise à certains, se gagne en mobilisant l’électorat populaire et la jeunesse continuellement occultés dans un permanent esprit rentier.
Et en répondant aux préoccupations du quotidien du plus grand nombre. C’est ce qu’indique un des prolongements du sondage, mettant les questions d’emploi et de lutte contre la pauvreté très haut placées. Cela tombe bien : un des fils rouges de la liste « Perpignan, changez d’air ! » vise à redonner du pouvoir d’achat et de vivre aux perpignanaises et aux perpignanais par l’activation des seules compétences municipales, dans une logique de bouclier social communaliste.
Francis Daspe, animateur départemental de La France Insoumise

