(Vu sur la Toile)

 

« La stigmatisation du monde paysan et de la ruralité a assez duré »
(Article du magazine Le Point – Par Jean-Paul Pelras)

 

Jean-Paul Pelras est écrivain, ancien syndicaliste agricole et journaliste. Rédacteur en chef du journal L’Agri des Pyrénées-Orientales et de l’Aude – l’enfant terrible de l’agriculture catalane s’est exilé dans le département de l’Aveyron -, il est l’auteur d’une vingtaine d’essais, de nouvelles et de romans, lauréat du prix Méditerranée Roussillon pour Un meurtre pour mémoire et du prix Alfred-Sauvy pour Le Vieux Garçon.

Il réagit aux propos de l’activiste pour le climat Camille Étienne qui était l’invitée, jeudi 18 mai, du Grand Entretien sur France Inter à l’occasion de la sortie de son livre Pour un soulèvement écologique (Seuil), puis interrogée par Yann Barthès dans l’émission Quotidien sur TMC.

 

« Madame,

Vous venez de publier un livre. À cette occasion, vous étiez récemment invitée dans la Matinale de France Inter et, par Yann Barthes, à l’émission Quotidien sur TMC/TF1. Vous avez dit : “Des électeurs du Rassemblement national, tout le monde en connaît, c’est une personne sur trois. Dire franchement, c’est autour de nous. Ça, en effet, il faut aller les convaincre. Mais ça veut dire quoi ?”. Et là vous rajoutez : “Ça veut dire aller parler aux agriculteurs, faire sortir l’écologie des beaux quartiers et, justement, aller parler dans les territoires ruraux, aller parler aux retraités qui votent majoritairement plus à l’extrême droite”.

Quel raccourci, madame, quel raccourci ! Emprunté, de surcroît à une heure de grande écoute pour assurer la promotion d’un bouquin, avec cette affirmation qui consiste à nous assimiler, nous les ruraux, nous les agriculteurs, à des électeurs d’extrême droite. Le fait de promouvoir, y compris urbi et orbi devant le prisme des caméras, l’écologie radicale, ne vous autorise pas à nous désigner implicitement. Ni, de surcroît, à tout mélanger au nom de l’urgence climatique.

Que vient faire ici, subitement, cette référence champêtre au Rassemblement National ? Où étaient les contradicteurs sur le plateau de Yann Barthes à ce moment-là ? Qui peut se défendre contre cette accusation, voire contre cette diffamation.

Désolé de l’exprimer ainsi, mais la stigmatisation du monde paysan et de la ruralité qui en prennent plein la gueule sur les plateaux télé a assez duré. Dénoncer les pratiques agricoles et soutenir les mouvements activistes ne suffisaient pas, voilà que, bénéficiant de l’entre-soi cathodique et radiophonique national, vous prêtez arbitrairement aux retraités et aux agriculteurs des obédiences politiciennes.

Diplômée de Science Po, vous devriez pourtant savoir que, lors des élections présidentielles de 2022, près de 70 % des plus de 65 ans ont voté Macron face à Le Pen au second tour. Mais aussi que, selon un sondage Cevipof en partenariat avec Réussir Agra, l’actuel chef de l’État avoisinait, avant le premier tour, 30 % des intentions de vote chez les agriculteurs contre 10,8 % pour Marine Le Pen et 10,9 % pour Eric Zemmour.

Je lis dans Le Parisien du 19 mai 2023, qu’après avoir passé votre enfance dans une station de ski savoyarde, à 24 ans, vous vivez de conférences, de vos livres et de cachets artistiques, que vous lisez des textes de George Sand au théâtre ? C’est bien et, pour tout vous dire, il m’arrive très rarement de croiser dans nos campagnes des gens pouvant revendiquer pareil modus vivendi. D’où, peut-être, leur inculture politique et, de facto, la nécessité de vous transporter à leur chevet pour leur apprendre à bien penser.

Et pourtant, n’allez surtout pas croire que vous êtes suffisamment qualifiée pour nous dire comment nous devons exister et comment nous devons voter. Les pérégrinations environnementalistes de celles et ceux qui savent forcément ce qui est bien pour nous, qui parcourent la planète comme vous le faites si souvent pour dénoncer l’industrie minière ou la montée des océans, ne vous autorisent pas à juger celui qui n’a eu ni la chance ni l’envie de franchir la proue de son champ.

Celui-là en sait d’ailleurs peut-être plus que vous sur la course des nuages et sur le caprice des éléments. Avec cette différence près qu’il ne passe pas sa vie en représentation, qu’il n’a rien d’autre à vendre que ce que sa famille produit depuis plusieurs générations, qu’il se méfie depuis bien longtemps des marchands de raisonnement.

Alors de grâce, Mme Camille Étienne, à l’avenir, lorsque vous prêterez à nos agriculteurs et à nos ruraux, qu’ils soient retraités ou non, une quelconque opinion, pensez, au préalable, à recueillir leur autorisation. »

 

Jean-Paul Pelras

(Source magazine hebdomadaire Le Point)