(Vu sur la Toile)

 

« Si la gauche n’est pas capable de répondre à la question de l’immigration, la bataille contre l’extrême droite est perdue »
(Article de Propos recueillis par Hadrien Brachet • Journal Le Point)

 

 

Le Point.- À la recherche d’une troisième voie. Dans une « contribution thématique » déposée dans le cadre du congrès des roses avec trois autres socialistes, Bassem Asseh propose à son camp d’élaborer une nouvelle doctrine sur l’immigration. Une « approche régulatrice et intégratrice » bien distincte des discours de l’extrême droite, qui « viennent toucher aux fondements même de notre pacte républicain », comme d’une idéologie « sans-frontiériste, qui voit l’immigration comme une pure question éthique ».

Habitué à pointer les impensés, voire les contradictions, d’une partie du camp progressiste sur le rapport à la République, la déconnexion avec les classes populaires ou la laïcité, le premier adjoint à la maire de Nantes juge à titre personnel que « si la gauche n’est pas capable de répondre à cette question que soulève l’opinion, la bataille contre l’extrême droite est perdue ». Un positionnement annonciateur d’une évolution de la doctrine du Parti socialiste (PS) ou de simples coups d’épée dans l’eau d’une tendance minoritaire ? Le Point s’entretient avec Bassem Asseh, déjà auteur d’une note pour la Fondation Jean Jaurès sur le sujet en 2024.

 

-Le Point : dans votre contribution, vous estimez que le discours de la gauche et du PS sur l’immigration est aujourd’hui « inaudible » face « à la nouvelle hégémonie culturelle de l’extrême droite ». Pourquoi ?

Bassem Asseh : “L’immigration est devenue un sujet inflammable. Dès que l’on met le sujet sur la table, chacun se sent obligé d’être complètement pour ou complètement contre. Résultat, le terrain médiatique se retrouve occupé par ceux qui ont les positions les plus radicales. D’un côté, aidée par sa puissance de feu médiatique, l’extrême droite ainsi qu’une partie de la droite attaquent des fondamentaux républicains comme le droit du sol. De l’autre, seule est audible une partie de la gauche, qui considère que les frontières ne servent à rien et que peut entrer qui veut. Au milieu, le centre gauche ou la gauche républicaine se retrouvent dans l’incapacité de faire entendre une position nuancée, réaliste et crédible”.

Chez les cadres nationaux, nous sommes minoritaires, mais le sommes-nous au sein de l’électorat de gauche ? Je ne suis pas sûr”.

-Le Point : justement, quelle serait la voie « nuancée » entre ces deux polarités ?

Bassem Asseh : “De manière générale, l’une des grandes caractéristiques de la gauche est de vouloir fixer des règles, par exemple sur le libre-échange, les réseaux sociaux ou l’écologie. La gauche devrait donc simplement appliquer à la question des flux migratoires son principe de fixer des règles. Elle pourrait proposer des indicateurs et assumer de travailler sur les critères qui font qu’une personne peut entrer ou non sur le territoire. Une fois que ces règles sont fixées, il faut mettre les moyens pour que l’accueil se passe bien. Ceci nécessite d’investir dans tout ce qui permet l’intégration : apprentissage de la langue française, formation professionnelle, éducation, sensibilisation à nos grands principes républicains. C’est d’ailleurs pour cela que nous proposons dans notre contribution la création d’un ministère de la citoyenneté pour que l’immigration ne dépende pas seulement de la logique sécuritaire de la Place Beauvau”.

 

-Le Point : vous appelez dans votre texte à une loi d’orientation pluriannuelle sur la politique d’immigration et d’intégration. Concrètement, s’agit-il de limiter les flux par la loi ?

Bassem Asseh : “La notion de régulation nous paraît, encore une fois, très importante. Parmi les règles, on peut par exemple établir que dans un secteur d’activité en particulier il y a un besoin de main-d’?uvre et que l’on va faire entrer sur le territoire des personnes qui ont les compétences adéquates. Mais on le fait de manière planifiée pour ne pas susciter de concurrence faussée entre travailleurs et permettre à ceux qui arrivent de bénéficier des mêmes salaires et autres conditions de travail que ceux qui sont déjà sur le territoire. Il s’agit de sortir de la logique libérale qui cherche juste à équilibrer l’offre et la demande de main-d’?uvre, sans songer au niveau des salaires ou à la formation. En réalité, le discours régulationniste n’est pas nouveau à gauche, il a été porté par Jean Jaurès ou même Karl Marx”.

 

-Le Point : lorsque vous entendez cette semaine la proposition de Laurent Wauquiez sur l’envoi des OQTF à Saint-Pierre-et-Miquelon, ne vous dites-vous pas qu’il n’y a plus la place dans le débat public pour des positions nuancées et raisonnées sur ce sujet ?

Bassem Asseh : “Malheureusement, même la droite s’aligne aujourd’hui sur les positions de l’extrême droite. Dans son interview au JDNews, les commentateurs ont principalement retenu la proposition de Laurent Wauquiez sur Saint-Pierre-et-Miquelon tant elle paraît énorme par son absurdité. Mais dans le même entretien, il adopte aussi la thèse de l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus du « grand remplacement », selon laquelle les Français tels qu’ils sont aujourd’hui seraient progressivement remplacés par des vagues d’immigration. Ce qui est erroné : lorsque l’on regarde les chiffres, on constate qu’il n’y a pas de submersion. Et dire cela ne revient pas à nier les frictions que peuvent générer les phénomènes migratoires !

Mais face à cela, je dirais que les seules batailles que l’on est sûr de perdre sont celles que l’on ne mène pas. Si nous voulons que l’extrême droite ne gagne pas, il faut traiter les sujets qui font qu’elle monte, que ce soit le pouvoir d’achat, la santé, l’insécurité ou l’immigration. Si la gauche n’est pas capable de répondre à cette question que soulève l’opinion, la bataille est perdue”.

 

-Le Point : Jean-Luc Mélenchon n’est-il pas, au fond, le seul à gauche à assumer une ligne sur ce sujet ?

Bassem Asseh : “Jean-Luc Mélenchon a, comme l’extrême droite, une approche identitaire de l’immigration. Quand il parle de « créolisation » ou de « nouvelle France », il le fait cyniquement pour s’attirer les voix de personnes dont il suppose qu’elles sont exclusivement attachées à leur identité issue de l’immigration. Il leur dit « la Nouvelle France, c’est vous », alors que la nouvelle France ce doit être nous tous !

Jean-Luc Mélenchon adopte ainsi une approche similaire à la note de Terra Nova de 2011 en voulant segmenter l’électorat et s’attirer les faveurs de l’électorat urbain et des personnes issues de l’immigration. En faisant cela, il essentialise ce qu’est un immigré ou un descendant d’immigré. Ce n’est pas parce que l’on vient de tel ou tel endroit ou que nos parents ou grands-parents ont telle ou telle culture que l’on va avoir nécessairement telle ou telle opinion. En république, on se doit de ne pas essentialiser les citoyens. Depuis la Révolution, la France est une communauté de citoyens”.

 

-Le Point : l’échec du BSW aux dernières élections législatives allemandes ne suggère-t-il pas qu’une gauche qui porte une ligne très ferme sur l’immigration ne permet pas de récupérer des électeurs partis à l’extrême droite ?

Bassem Asseh : “Le BSW se définit à la fois par une dimension marxiste, un positionnement très strict, voire excessif, sur l’immigration, mais aussi un discours international pro-Poutine. Je pense que l’échec de ce parti, qui est allé trop loin dans l’outrance, est aussi lié à cela. Dans d’autres pays, des partis de gauche victorieux comme les sociodémocrates danois ou les travaillistes anglais ont été assez clairs sur le fait qu’il fallait des règles en matière migratoire. Pour autant, je me méfie des comparaisons d’une nation à l’autre. La France a ses spécificités historiques, liées notamment à son histoire coloniale”.

 

-Le Point : n’êtes-vous pas une minorité à porter cette ligne au PS ?

Bassem Asseh : “Lorsque je parle avec les militants de cette approche régulationniste et mettant l’accent sur l’intégration et la citoyenneté, le retour est très positif. Personne ne m’a sauté au cou ! La situation se complique en revanche, il est vrai, quand il s’agit pour les dirigeants de premier plan de porter le sujet et d’en faire une thématique à part entière. Donc, oui, chez les cadres nationaux, nous sommes minoritaires, mais le sommes-nous au sein de l’électorat de gauche ? Je n’en suis pas sûr”.

 

(Source : article de Propos recueillis par Hadrien Brachet • Journal Le Point)