(Vu sur la Toile)
Mal de maires : “Être maire, c’est une vocation, à mi-chemin entre le sacerdoce et le sacrifice”
Il est, de loin, l’élu préféré des Français. Pourtant, face aux mutations de sa fonction et à la charge qui lui incombe, le premier édile à parfois le “mal de maires”. Dans notre série, nous donnons la parole à celles et ceux qui témoignent de ce malaise, paradoxal, révélant les fragilités d’un mandat aussi convoité par les prétendants qu’aimé par les administrés. Aujourd’hui, c’est l’économiste et chercheur montpelliérain Olivier Torres qui s’y colle avec son étude sur la santé mentale des maires qui a fait le tour des médias depuis sa parution en 2024.
(Cyril Durand – Rédaction du journal Hérault Tribune)
Hérault Tribune.- Une partie des maires va mal et il le prouve. Depuis quinze ans, Olivier Torres étudie la santé des dirigeants de petites et moyennes entreprises (PME) à travers son observatoire Amarok, créé à Montpellier. Accompagné de son équipe, il a démontré par A plus B que l’entrepreneuriat, s’il est souvent bon pour la santé, reste très exigeant et générateur de stress, avant d’ouvrir son champ de recherche aux agriculteurs et, dernièrement, aux maires des communes de moins de 10 000 habitants.
“Cela s’est imposé comme une évidence, explique-t-il aujourd’hui, après une rencontre avec John Billard, ancien maire d’une petite commune et délégué général de l’Association des maires ruraux de France (AMRF). “Il m’a dit : tout ce que vous décrivez chez les entrepreneurs, je le vis aussi comme maire : surcharge de travail, incertitude budgétaire, conflits…” De là est née l’idée d’évaluer scientifiquement la santé des élus locaux. Et les résultats parlent d’eux-mêmes.
Un tiers des maires présentent un risque d’épuisement professionnel
Accompagné du chercheur montpelliérain Mathieu Le Moal, Olivier Torres a interrogé 1 020 maires sur l’ensemble du territoire (une taille d’échantillon suffisamment représentative pour en faire la première étude épidémiologique sur le sujet). Les résultats, publiés dans la revue internationale Occupational and Environmental Medicine (OEM), sont sans appel : 31,4 % des maires présentent un risque d’épuisement professionnel, 3,48 % sont en risque d’épuisement sévère, soit environ 1 000 maires en France. “Il ne s’agit pas de burnout médicalement diagnostiqué mais d’un risque d’épuisement. Le mot est important : ce chiffre doit alerter et inciter à la prévention”, insiste l’économiste.
Contrairement à ce que la médiatisation pourrait laisser entendre, les agressions ou menaces n’arrivent qu’en huitième position parmi les facteurs de stress. Ce qui épuise le plus les élus, ce sont la complexité et la lourdeur administrative, la surcharge de travail et le manque de temps, les difficultés budgétaires et la gestion des subventions. “On oublie qu’un maire ne peut voter qu’un budget à l’équilibre. Là où l’État s’endette depuis quarante ans, les élus locaux n’ont pas ce droit. C’est une contrainte permanente”, rappelle Olivier Torres. À ces contraintes s’ajoute la solitude du mandat : un problème avec une secrétaire municipale peut bloquer toute la gestion d’une petite mairie. Et nombre d’élus renoncent à leurs indemnités pour financer un poste de directeur général des services, souvent payé à temps partiel.
L’étude révèle aussi que 70 à 80 % des maires se considèrent comme des entrepreneurs. “Le mot le plus fréquent dans leurs réponses est “projet”. Qu’il s’agisse de restaurer une école ou d’aménager une voirie, le projet est au cœur de leur satisfaction… mais aussi de leurs frustrations lorsqu’il échoue”, analyse le chercheur. Cette proximité avec le monde entrepreneurial éclaire la psychologie des élus locaux mais elle souligne aussi le risque d’“impuissance” : nombre d’élus se disent empêchés par des transferts de compétences vers les intercommunalités ou des procédures trop lourdes.
Femmes-maires : une vulnérabilité accrue
L’étude montre une réalité encore trop peu soulignée : les femmes maires apparaissent davantage exposées à l’épuisement que leurs homologues masculins. Olivier Torres avance plusieurs explications comme la double, voire triple charge (vie politique, activité professionnelle et responsabilités familiales), ou un sommeil dégradé, utilisé comme “variable d’ajustement”. “Nous avons constaté que, quelle que soit la profession, les femmes dorment moins bien que les hommes. Or, un sommeil perturbé est un facteur de risque majeur d’épuisement professionnel”, précise le professeur montpelliérain.
Une élue rurale interrogée par Hérault Tribune confie ainsi avoir “frôlé le burn-out” dès son premier mandat, tant la charge émotionnelle et domestique s’ajoutait aux responsabilités locales (nous y reviendrons).
70 % se disent satisfaits et optimistes
Des chiffres préoccupants qu’il faut toutefois nuancer au regard des suivant car, malgré ces contraintes, l’étude révèle que près de 70 % des maires se disent satisfaits et optimistes dans leur fonction. Comment expliquer ce paradoxe ? Interrogé sur la dimension de pouvoir attachée à la fonction de maire, Olivier Torres nuance fortement : “Contrairement à l’image parfois véhiculée, la plupart des maires n’exercent pas leur mandat dans une logique de domination. Ils n’ont pas le sentiment d’être des “puissants””, explique-t-il.
Leur fierté tient, selon le chercheur, davantage à l’incarnation symbolique de la République : “Quand ils portent l’écharpe tricolore lors d’un mariage ou d’une cérémonie, ils incarnent la République française. Ce n’est pas au nom de l’État qu’ils marient, mais au nom de la République”, insiste-t-il. Si les batailles de pouvoir existent, notamment dans les grandes villes, elles sont marginales à l’échelle nationale : “Dans les petites communes, les maires se vivent moins comme des stratèges politiques que comme des artisans du quotidien, proches de leurs administrés.”
“Il ne faut pas que les maires s’épuisent en silence”
Un dévouement valorisant qui s’accompagne cependant de lourds renoncements faits de vacances écourtées, souvent hors de la commune pour éviter les sollicitations permanentes, de week-ends rythmés par les cérémonies et les inaugurations et d’une charge horaire écrasante. “Les maires consacrent, en moyenne, 62 heures par semaine à leur fonction, parfois en cumulant leur métier et la mairie.”
Pour prolonger cette enquête, Amarok prépare le lancement d’une plateforme numérique « e-santé maires ». Inspirée de l’outil déjà développé pour les chefs d’entreprise, elle permettra d’identifier en temps réel les signaux faibles d’épuisement, d’orienter les élus vers des solutions de soutien et, si nécessaire, de déclencher une alerte. “L’idée est de créer un dispositif de prévention accessible, pour que les maires ne s’épuisent pas en silence”, explique Olivier Torres. Son étude, en tout cas, à fait grand bruit. A-t-elle été entendue pour autant ?
(Source : Hérault Tribune)
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